Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/176

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[Dessin : Rimbaud. Voir La Revue blanche, 1896, p. 173.]

Paul Verlaine admirateurs, avec combien de vagues mérats et de grotesques carjats le pauvre poète du Bateau ivre eut-il affaire, qui le diffamèrent, osant, à l’applaudissement de leurs pareils, outrager son orgueil de dieu de leur suffisance d’imbéciles ?

Comme on sent à y réfléchir, connaissant ses aventures antérieures, que Rimbaud dut se sentir honoré du mépris de ces gens, qu’on a entendus traiter Villiers de l’Isle-Adam de crapule ; comme on comprend qu’il se soit ingénié à les scandaliser, en prenant le masque excessif de tout ce qui blessait leur pudeur de prudhommes ratés ! Lui, d’ordinaire et de nature si méditatif et renfermé, timide au fond, comme il devait jouir du spectacle de la terreur et du dégoût à eux causés par l’outrance de ses gestes et de ses attitudes !… Il se grisait, autant pour le bonheur de les stupéfier que pour celui d’une exquise excitation sensorielle. La félicité de l’opprobre, il l’avait pleine ainsi. Et, au grand émoi d’ire des thuriféraires, il rira des observations de Théodore de Banville, connue il a ri du « Shakespeare enfant » de Victor Hugo ; et, si telle de ces épouses de poète le nettoie de sa vermine, il chantera la joie infinie de cette sensation par cette toute délicatesse musicale, picturale et odorante : Les Chercheuses de Poux ! Et quel honneur, quel triomphe d’inquiéter jusqu’à un génial Charles Cros. jusqu’à un bizarre Cabaner, jusqu’à un Forain gavroche, et de laisser, dans le front étroit des autres, l’opinion fixe qu’on est un démon, un brigand promis à la guillotine.

Cependant, c'est à ce moment que Rimbaud suggérait à Verlaine les lois de cette poésie fluide, ténue, si vaguement troublante et précisément troublée dont se créeront les Romances sans Paroles, Sagesse, tout un art nouveau qui fera l’auteur des Fêtes galantes grand poète ; c’est à ce moment qu'il stylait de « diamant » ces notes qui seront les Illuminations placées au-dessus de toute littérature par la sagace et courageuse justice de quelqu’un pressentant, sans doute, que l’auteur aussi bien était en valeur humaine au-dessus de tous littérateurs !


Or et pour ce choir sur de l’actualité, Monsieur le comte Robert de Montesquiou-Fezensac est-il dans l’ignorance de ce que son élégante admiration pour Marceline Desbordes-Valmore, il la doit à ce famélique, à ce guenilleux, à ce pouilleux d’Arthur Rimbaud, lequel sut bien, sous l’entassement des défroques et ordures romantico-parnassiennes, trouver le joyau et forcer Verlaine à le regarder sous toutes ses facettes ?

Paterne Berrichon