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Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/325

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de Stamboul, déclarait avoir pris le soin de poster un contremaître, armé du revolver sur l’échelle du bord, pour repousser tout fugitif que poursuivrait une cuadrilla de morte. Sans aucun doute, ses collègues l’imitent.

Les traditions de la chevalerie française, on le sait, ne désertent pas l’âme noble du corps de la marine.

Et puis notre ami le tzar, lui-même, vient de faire féliciter la Sublime Porte pour cette énergique attitude. Dans ses états, aussi, l’Arménien gêne. Il connaît ces gaillards-là, qui ne méritent point l’intérêt de l’Europe. Avant peu, nous aurons des corridas pareilles à celles de Van, de Zeitoun ou d’Angora, dans les provinces amies du Caucase.

En reconnaissance de l’emprunt si patriotiquement couvert par notre petite épargne, le gouvernement de Nicolas, outre la visite annoncée, se promet d’offrir de pittoresques massacres pour la fin de l’automne.

Les cuadrillas de Cosaques ne le cèdent point à celles qui suivent Guerrita, ou qui opèrent en Anatolie. Eh, les chemins de fer russes sont confortables.

Voilà pour renforcer l’enthousiasme de notre population parisienne si heureuse d’un à-plat-ventre sous les fers du cheval moscovite. Paraisse le tzar : les acclamations vont retentir, doubles, triples, centuples. Le soutien du sultan promet du sang aux narines de France. Que de beaux gestes ! Que de beaux gestes !

Si la honte existait encore, peut-être l’ouvrier de Paris remarquerait-il l’ignominie qu’il va subir en affichant aux yeux du monde, par de l’enthousiasme envers le tzar, sa peur flageolante de la menace germanique.

Comment l’histoire jugera-t-elle ce peuple qui, pour obtenir un knout protecteur, salue d’acclamations délirantes le potentat capable de féliciter les égorgeurs de soixante mille inoffensifs réclamant contre le pillage de la soldatesque turque ? Quelle date aux annales de la France !

Car ils salueront, ils acclameront, ils trépigneront devant le jeune homme à face plate. Modistes, épiciers, mercières, catins et calicots se préparent au grand jour de bassesse. La peur du Prussien affole leur couardise ; et, sur le sol où furent proclamés les Droits de l’Homme, ils crieront leur bonheur d’adorer une bouche qui félicita le Turc du sang humain versé, par massacre, soixante mille fois.

Mieux encore ! Les gazettes apprennent que des officiers russes vont renforcer les défenses de Stamboul, que l’escadre entière de la Mer Noire, ces marins acclamés naguère par la naïveté de Paris, se postent pour empêcher d’agir toute nation désireuse de mettre un terme à la boucherie et à l’extermination d’une race intelligente. Depuis cette haute intervention, les massacres recommencent. Le 16 septembre, six cents Arméniens sont tués dans le vilayet de Karpout. Va, badaud, acclame ton tzar, et puis porte-le sur le trône des Bourbons.

En vérité, les afficionados d’Espagne peuvent te breveter frères.

Voyons, cependant, ce n’est pas possible. Nous sommes quel-