Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/465

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— Je soupçonne qu’un espionnage perpétuel vous guette.

— Oui, mais il ne nous incommode pas. Personne n’a rien à dissimuler. On porte, comme Bias, toute sa fortune sur son dos. Voudrait-on voler, qu’il n’y a rien à voler, tout appartenant à tous.

— Quels sont donc les criminels ?

— Les colériques qui tuent ou tentent de tuer dans une querelle, ou injurient gravement le contradicteur. Les paresseux qui refusent le travail. Les contrebandiers qui essaient d’introduire de l’alcool ou du tabac. Voilà les criminels principaux. La masse de l’armée se compose de gens qui calomnièrent, injurièrent, ou firent violence à une femme.

— Et ces hommes armés, vous ne craignez pas leur révolte ?

— Non. Parce que sur leurs camps, sur leurs colonnes en marche plane toujours la nef aérienne et ses torpilles.

— Ce ne sont pas des soldats qui forment les équipages d’aéronautes ?

— Non ; mais des savants.

La conversation tomba. Le train filait dans l’ombre humide de forêts infinies, avec cette vitesse folle obtenue, non par la vapeur ou l’électricité, mais par l’explosion continue d’un gaz détonant. Nous roulions sur un tonnerre assourdi.

Théa s’endormait. La nuit allait venir. Le souffleur de bouteilles tourna le piton des lumières qui s’obscurcirent ; et il s’arrangea pour le sommeil. Déjà des voisines soufflaient. Pythie se rapprocha de ma fièvre, elle saisit ma main, et m’entraîna par le couloir à soufflets dans un autre compartiment du train. C’était une petite loge capitonnée de soie ponceau. Le tapis parut une chose moelleuse comme un édredon ; et il n’y avait pas d’autre siège.

— Vous devez, me dit-on, avoir des trésors de fougue amoureuse, et non pas être blasé comme les hommes d’ici dont nos corps ne séduisent plus la satiété.

Sans autres précautions oratoires elle éleva ses lèvres vers mes lèvres ; la vipère de sa langue glissa entre mes dents. Ses mains habiles et pleines d’intentions me dévêtirent à demi. L’effet de sa caresse se manifestant, elle frémit de toute l’échine à s’en apercevoir. Jetant, son habit, dépouillant sa veste, élargissant la fente de sa chemise, elle me remplit les mains de sa gorge, puis me força, silencieuse, à m’agenouiller, à m’étendre ; bientôt nos deux nudités s’enlacèrent ardemment.

Ainsi je gagnai la ville de Minerve, en quelques heures voluptueuses.

Paul Adam