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530 LA REVUE BLANCHE


manquant pas, à certaines grandes fêtes, de s’y montrer en son élégance et sa beauté, avec le sourire et la hauteur nécessaires pour décourager la familiarité en acquiesçant néanmoins à des usages auxquels satisfaisait la faveur de sa présence. Passé cette condescendance, sa vie se renfermait. La curiosité même en avait admis le secret sans plus chercher à le pénétrer. On m’en parla dans les premiers temps de mon séjour et si le hasard des rencontres ne m’eût mis en relations, d’abord de courtoisie, puis, peu à peu, d’amitié, avec un des convives de ces dîners mystérieux jamais je n’aurais pensé à pouvoir souhaiter y être admis. Mon ami ne manquait jamais de s’y rendre et rien ne le détourna une fois de son assiduité.

Au soir dit, me racontait-il, que je l’interrogeais sur ce rituel de ce culte singulier, chaque arrivant descendu à la grille et la cour traversée, trouvait au vestibule un vieux valet à cheveux blancs et chacun recevait de lui, tour à tour, une petite lampe allumée. Sans que personne accompagnât le visiteur il se dirigeait vers l’appartement de la princesse. Le trajet long se compliquait d’un entrecroisement d’escaliers et de corridors. Les pas sonnaient sur le pavage des paliers ou les mosaïques des galeries, craquait au parquet des grandes salles ou s’amortissait aux tapis des salons. Il fallait écarter des draperies, pousser des portes, manier des serrures. La lueur de la petite lampe éclairait tour à tour des files de statues et des rangées de bustes, le sourire d’un marbre ou la gravité d’un bronze, une nudité ou une stature. La lumière, au passage, bombait la panse d’un vase, éveillait la dorure d’un meuble ou scintillait au cristal d’un lustre. Des couloirs vides aboutissaient à des rotondes désertes et de marche en marche, de porte en porte, on arrivait enfin à l’appartement de la Princesse de Termiane.
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Le jour ou je devais y être introduit je me rendis, d’assez bonne heure, chez mon ami M. d’Orcamp. Il avait obtenu que je prisse à la table de la Princesse la place qu’y laissait libre son départ. Il partait le lendemain. Les bagages encombraient le vestibule. Les écuries ouvertes et les domestiques congédiés, tout l’hôtel prenait déjà un air d’abandon. Je cherchai d’Orcamp d’étage en étage et j’allais descendre au jardin, pensant l’y rencontrer, quand un refrain de cornemuse me guida vers le haut de la maison. Je parvins aux mansardes et poussant une porte, je le découvris dans une petite chambre démeublée, accroupi sur le carreau, et soufflant dans une musette laissée là sans doute par quelque drôle de la valetaille. II ne m’entendit pas venir et continua d’enfler l'outre obèse d’où il tirait une mélodie rauque et nasillarde. A ma vue, il se leva, jetant l’instrument qui se dégonfla avec un soupir plaintif. « Je me prépare au voyage, me dit-il ; demain la voiture me conduira jusqu’à la côte, un bateau me traversera la mer et je reverrai le manoir natal... Jamais, peut-être, ajouta-t-il, je ne me sentirais la force de partir sans ce vieux pipeau et sa pauvre musique rauque. J’y ai revu mon pays, ses landes grises et roses, ses bois,