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Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/564

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sourire dans la barbe. Elle le reconnut ; ils se tendirent la main ; elle lui fit place au long d’elle sur la fourrure du divan. Ils ne tardèrent pas à rire en chuchotant, et il fallut bien prévoir, aux baisers qu’ils prolongèrent les yeux clos, des intimités prochaines. Sans doute l’altération de mon visage avertit Théa de ma peine. Elle me dit de la suivre jusque les salles souterraines où la fête continuait. J’obéis, non sans me retourner encore, avant de descendre, pour savourer la douleur de voir la barbe dorée de l’intrus contre le visage de Pythie, sa couronne de palmes unie à la couronne de palmes, et sa forte musculature empreinte aux douceurs des lignes onduleuses. Une angoisse physique m’abîma le corps. Je respirai mal. Dans la main de Théa la mienne s’amollit. Les veines gonflèrent à mes tempes. Je ressaisis très lentement mon énergie qui fuyait. À cette minute, mon cher ami, je me rappelai ce que vous m’avez dit à Biarritz sur la torture passionnelle. Oui, la douleur de se voir abandonné cause un mal physique. Ce n’est pas seulement notre orgueil qui pleure, ce sont nos fibres, nos os, notre sang. Je le sentis alors, et je m’épouvantai de mon état.

Elle me rasséréna peu, la contemplation des salles souterraines aux murs de miroirs éclairés par des corbeilles de fleurs versicolores dont les pistils sont des feux lumineux. Je vis sans joie les femmes et les hommes se blottir au fond des loges sombres, sur l’ouverture desquelles retombaient les plis de toiles peintes. Je goûtai d’une lèvre fade les breuvages d’or que des enfants chinoises versèrent dans nos coupes. Le délire fringant des musiques frappa mon oreille de sons inutiles. Bien que j’eusse consenti à ces voluptés, les caresses tour à tour bestiales, légères, énervantes d’une femme à la gorge roide et aux mains crispées, si elles secouèrent mon corps de spasmes imprévus et firent crier ma bouche, n’effacèrent pas l’image de Pythie aux bras de l’autre, ni la colère que me laissait son indifférence. En vain Théa me fit boire les lèvres d’une malaise serpentine et les seins d’une grasse chinoise, en vain elle enveloppa mes reins avec l’étreinte d’une blonde fleurant la chaleur du lait. J’y gagnai la fatigue du corps sans obtenir la lassitude de mon angoisse.

Nous quittâmes les matelas de soie violette qui garnissaient notre loge, et nous restâmes sous la tenture levée. Derrière nous, à la lueur de la veilleuse rouge, la blonde, épuisée de plaisir, sommeilla. Des salles octogones convergeaient de leurs murs en miroirs jusqu’au carrefour où nous nous tenions. Ivres de cette liqueur d’or dont nous avions bu, aphrodisiaque certain, les femmes coururent en farandole, les seins tremblants, nues jusque la ceinture qui retenait leurs chlamydes roulées. Vers le signe des hommes, trop peu nombreux, elles se glissaient sous les portières des loges ouvertes aux angles des salles octogones. Des glaces multipliaient les rires vermeils de leurs bouches, l’éclat de leurs dentures, les gestes blancs ou bruns de leurs bras, les danses rythmiques de leurs jambes en bas écarlates. Des ventilateurs soufflèrent des bouffées de parfums sur