Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/293

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fus attaché depuis le 9 avril, en qualité de secrétaire, au Cabinet du délégué à la guerre. Pour le dire en passant, nous nous trouvâmes là trois secrétaires du même nom : Georges, Jules et Charles Renard, source future de confusions sans fin pour les journaux et les Conseils de guerre. Mes fonctions me donnaient droit au grade de sous-lieutenant et à une paye de cinq francs par jour. Je restai au ministère de la rue Saint-Dominique, cinq semaines environ, occupé depuis le matin 9 heures jusqu’au soir 10 heures au service de la correspondance, quelquefois même obligé d’y passer la nuit pour recevoir les dépêches qui arrivaient de moment en moment. J’y vis défiler, comme les personnages d’une lanterne magique, trois délégués à la guerre, Cluseret, Rossel, Delescluze. Quand ce dernier arriva, il parut vouloir tenir en suspicion et à l’écart les hommes qui avaient eu la confiance de Rossel, alors poursuivi par ordre de la Commune. Le 13 mai, me sentant désormais inutile au poste modeste que j’occupais, je lui adressai par écrit ma démission et je me retirai chez mes parents qui habitaient à Paris, boulevard Port-Royal.

N’ayant plus dès lors ni grade ni fonction, n’appartenant à aucun corps, en outre suspect comme ami de Rossel et toujours souffrant, je n’eus pas l’occasion de prendre une part active à la suprême bataille, d’autant que le quartier où je résidais fut des premiers envahi par les troupes de Versailles. Les obus et les balles pleuvaient sur notre maison le soir même de l’entrée de l’armée régulière dans Paris, et je fus heureux d’échapper grâce à l’hospitalité qui me fut offerte par une famille amie, celle de M. Gaston Stiegler, aujourd’hui rédacteur à l’Écho de Paris.

J’errai ensuite d’asile en asile durant une huitaine de jours : après quoi, las de me cacher, pris de cette nausée de la vie qui fut commune alors chez les vaincus de la guerre civile, je rentrai tranquillement chez moi. Je ne devais être dénoncé et poursuivi que quatre mois plus tard : mais, quand on s’avisa de songer à moi, j’avais quitté Paris depuis plusieurs semaines et je pus, déguisé en polytechnicien, gagner la Suisse où j’appris, au bout d’un an et demi, que j’avais été condamné par contumace, pour usurpation de fonctions, à la déportation dans une enceinte fortifiée.

Au cours de la semaine sanglante, j’ai traversé quelques quartiers de Paris déjà occupés par les vainqueurs (sur la rive gauche et au centre). Voici les principaux souvenirs qui m’en sont restés : à côté du Collège de France, au pied d’un grand mur sale, des cadavres de femmes et d’enfants qui avaient été fusillés là ; dans le square de la Tour Saint-Jacques, parmi les fleurs, la terre remuée et les vols de mouches bourdonnantes, des monticules d’où saillaient ça et là des têtes et des bras de fédérés qu’on y avait enfouis à la hâte ; une fumée noire sortant de la Préfecture de police et les passants, dont j’étais, arrêtés et réquisitionnés, pour faire la chaîne et aider à éteindre l’incendie

2e Question — Mon opinion sur l’insurrection de 1871 ? — Je l’ai