Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/306

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silence que je n’ose troubler. Je sais, maintenant, on a demandé des couvertures pour l’ensevelissement, je n’avais pas entendu : je détache la mienne que je porte en bandoulière, un autre éclaireur de mes camarades en fait autant, nous sommes, du reste, les seuls de la peu nombreuse assistance qui ayons sur nous de quoi improviser un suaire. Chacun a baisé au front le brave Dombrowski, on l’emporte, nous suivons : il ne me parait pas que c’est un homme, mais une idée, un principe que nous allons enterrer ; c’en est fait de la Commune de Paris, c’en est fait de nous. — Ce sentiment qui est dans tous les cœurs, dans tous les esprits, Vermorel, l’exprime en un discours où sanglote la désespérance infinie, encore qu’il se roidisse de toute sa volonté, de toute la nôtre contre l’évidence d’un proche et terrible dénouement.

L’insurrection de 1871 restera, quoi qu’on fasse, l’un des plus nobles mouvements de l’âme humaine. Jamais gouvernement, — si l’on peut dire que celui de la Commune en fut un, — n’a eu à sa disposition une somme pareille d’intelligence, de savoir, de dévouement. La décision seule manqua parmi ces hommes qui, tous, ou à peu près, surent mourir. D’organisation, il n’y en eut jamais : un bataillon obtenait un ordre de l’Hôtel de Ville, puis se débrouillait sans qu’on s’en occupât autrement. Au point de vue militaire ; l’assemblée communale eut la faiblesse de se laisser circonvenir par une tourbe de parasites galonnés qui ne commandèrent guère que les gueuletons tant reprochés aux chefs fédérés. Et durant que la clique des colonels sans soldats festoyait rue de Rivoli, une poignée de braves, toujours la même, tenait tête à l’armée de Versailles, à Neuillv, à Issy, à Vanves, à Montrouge, puis, dans la rue, derrière les barricades où les galons s’étaient, comme par enchantement, envolés.

La répression fut effroyable. Une horde de bêtes féroces s’était abattue, ivre, sur Paris ; et c’est une honte pour l’humanité tout entière que soient inscrites au livre de l’Histoire les monstrueuses journées de Mai. Au hasard, on appréhendait les passants pour les traîner, sans jugement, au mur d’exécution : un képi de garde national imprudemment conservé, des godillots aux pieds, une tête antipathique à quelque Ramollot, suffisaient pour attirer l’attention fatale des brutes versaillaises. Puis, la tuerie, s’arrêtant faute de victimes à immoler, les vainqueurs s’ingénièrent aux plus sauvages distractions. Par le soupirail d’une cave où il s’était réfugié, le peintre André Gill assista, fou d’horreur, au hideux spectacle de lignards joûtant à qui laisserait tomber avec le plus d’adresse la pointe de son sabre-baïonette dans l’œil vitreux des morts étendus sur le sol ! Ceci m’a été raconté par Léon Cladel qui tenait le fait de la bouche même du malheureux artiste dont la raison ne se remit point de cette diabolique vision…

La pensée essentiellement libertaire qui anima les hommes du 18 mars a-t-elle été anéantie avec le gouvernement de la Commune ? Non certes ! L’énorme poussée, acquise aujourd’hui, vers une syn-