Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/390

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Mais tout cela, cris, menaces, injures, hurlements, n’était rien encore. Une clameur formidable, assourdissante, éclata tout à coup comme le tonnerre et il se fit dans la masse un remous furieux où prisonniers et escorte semblèrent au moment de s’anéantir.

— Au dessus de tous, s’avançait comme un spectre, — livide, ensanglanté, hagard, les cheveux droits hérissés, vacillant et de chaque côté soutenu, — un homme, blessé au dos, disait-on, et qui, ne pouvant absolument plus marcher, avait été hissé sur le cheval d’un des hommes d’escorte.

Qui était ce misérable ? Était-il réellement un des chefs ou le prenait-on pour tel parce que seul entre tous il était monté ? Quoi qu’il en soit, l’aspect de ce moribond — (il n’alla pas plus loin, nous dit-on, que l’église de la Madeleine…) put réaliser l’invraisemblable prodige d’exaspérer encore d’un degré l’accès de délire homicide de ces lycanthropes.

Et au dessus des hurlements et rugissements de possédés : — « À mort ! — Ici ! — Tout de suite ! » — nous entendîmes une voix stridente entre toutes, une voix de femme, glapissant en fausset suraigu, vers les nuages : — « Arrachez-leur les ongles. » Oui, voilà ce que j’ai vu, voilà ce que j’ai entendu, en plein centre de Paris, centre de la civilisation humaine,

— et en témoin sincère, désintéressé, avec tous autres témoignages à l’appui, historiquement, comme c’est mon devoir, j’en dépose.

Nadar
FIN