Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/460

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quitter le dangereux état hollandais et filer sur Hambourg. Là, après avoir, en solidarités, dissipé son gain, il trouve à s’engager comme interprète dans la troupe ambulante du cirque Loisset.

C’est dans ces fonctions que le connurent Copenhague et Stockholm.

Il se lassa bientôt de l’existence relativement méthodique du baladin ; se blasa tôt aussi de l’action aux fêtes foraines en ces villes froides, sous tous les rapports, de la Scandinavie. Le Nord n’entrait pas dans le programme de sa fête de vie ; il s’en écartait, au contraire. Car, connu, le protestantisme dé ces contrées, connu et méprisé !… Aussi, dès Stockholm, lâchait-il la baraque Loisset, pour aller rendre visite au consul qui, à souhait, le rapatria.


En 1878, pour, de Charleville, partir en chemin de fer à Hambourg, où des espoirs l’invitent, Rimbaud se voit forcé de donner à sa mère la preuve, pour ainsi dire, qu’il travaillera « honnêtement ». La bourse s’ouvre. Il arrive dans la ville allemande, et il y est, en effet, embauché par des négociants qui l’envoient, comble de bonheur, à Alexandrie. En novembre, après avoir, pour gagner du temps, franchi une seconde fois à pied le Saint-Gothard, il s’embarque à Gènes et il aborde l’Égypte, enfin ! dans de supportables conditions.

D’Alexandrie, un nouvel engagement le fait passer en l’ile de Chypre. Pendant six mois, il travaille assidûment comme chef de carrière, sous la direction, paraît-il, de MM. Thial et Cie. Mais il contracte des fièvres ; et il est, pour cela, de nouveau forcé de revenir, au moyen de ses économies (sur ses mensualités de 150 francs il ne dépensait presque rien), dans les Ardennes.

Il laissa des regrets aux gens de l’entreprise, l’aimant à cause de sa lumineuse intelligence aussi bien que pour sa générosité, son activité, sa loyauté sans pareilles.


En France, à Roche, l’an 1879, on le revoit, pour la dernière fois. Les fièvres, dont il est ébranlé, paraissent redoubler sa soif d’un soleil ardent, d’horizons vastes, de paysages colorés aux ciels infinis et d’azur sans tare. « Rester toujours dans le même lieu, écrivait-il épistolaireineni, me semblerait un sort très malheureux. Je voudrais parcourir le monde entier qui, en somme, n’est pas si grand. Peut-être trouverais-je alors un endroit qui me plaise à peu près. »


Au cours de ces voyages héroïques, il n’écrivait plus, c’est vrai, que de rares lettres ; lors de ses retours, il assurait, à ceux qui l’interrogeaient sur le propos de Littérature, sa définitive rupture avec elle. Mais il parlait pour l’instant. Pouvait-il engager un futur voué, par lui-même, à l’imprévu ? Il n’avait, jadis, chanté que par besoin de le faire, d’accord. Il ne l’éprouvait apparemment plus, ce besoin ; auquel avait succédé celui de l’aventure. Mais cela