Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/461

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entraîne-t-il qu’il ne devait jamais plus s’attacher au Verbe ? Nous ne pouvons l’admettre.

La volonté, en dépit de philosophies à la mode, n’entre que comme un facteur secondaire dans la destinée des hommes. Supposée d’action principale — et ce n’est pas dans le cas qui nous occupe — est-ce qu’elle n’obéit pas, comme tout le reste, à cette loi de transformation placée, par nos savants modernes, en base de toute biologie ? Quoiqu’il en soil, cette appétence caractéristique de Rimbaud à renouveler toujours ses sensations, son désir volontaire et sans précédent d’étreindre le monde nous apparaissent, à nous, en but d’un emmagasinement formidable de poésie, d’un approvisionnement complet d’idées.

Peut-on, en réalité, exprimer de la poésie si l’on n’en a frémi, joui soi-même ; fût-ce par des coulures ataviques ? L’imagination aussi est perfectible, et dépendante d’atmosphères. Qu’Arthur Rimbaud n’ait pas voulu poursuivre, dans le genre de ses écritures connues et qui sont toutes exclusivement de sa première jeunesse, c’est d’autant plus admirable que ces œuvres le sont, simplement, déjà, admirables ! Il eut contre elles, dit-on, des gestes de destruction. Quel est le poète qui n’éprouva un malaise devant la publication de choses, aperçues, dès lors, imparfaites ? D’autre part, le goût de la perfection poussé, de cette sorte, à un tel degré, n’est-ce pas un souci divin ?

Or, nous avons dit qu’Arthur Rimbaud prétendait à devenir un dieu.

Il savait tout, de la Science eide la Littérature ; il voulut tout vérifier, tout voir, tout deviner, inventer.

Et voici que cette aspiration vers une nouveauté toujours de vie nous fait immédiatement penser à cet autre divin, Mallarmé, lequel, ému de semblables impulsions, aigle en cage dans notre société, eut ce coup d’aile :


La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux.


Car Rimbaud, non seulement avait abdiqué l’Art d’autrefois ; aussi bien il avait abandonné, comme tristes et insuffisamment fécondes, les excitations artificielles de la chair pour le rêve. 11 moquait un peu cela, même, à l’époque où nous venons de le voir, à Roche.


Cependant, la voix de cet homme ne pouvait à jamais se taire ; l’eût-il résolu lui-même. Et en voici une preuve, offerte par mademoiselle Isabelle Rimbaud qui, seule, en France, eut les confidences de son âme, à la dernière période de sa vie :

« Je crois, dit-elle, que la poésie faisait partie de sa nature, que c’est par un prodige de volonté et pour des raisons supérieures qu’il