Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/548

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postes de police, d’organiser des rondes et de faire garder les édifices. Le peuple est convoqué d’urgence : Posthumius lui révèle le danger qui menace la République et, après avoir donné lecture d’un sénatus-consulte qui sommait les orgéons de se dissoudre sans délai, proclame que l’impunité et des récompenses sont assurées à tous délateurs.

On vit bien alors combien habilement les menées des conjurés avaient organisé de longue main la panique et l’affolement ; tous ceux qui redoutaient un coup de main des conjurés ou les poursuites arbitraires des magistrats abandonnèrent la ville ; les affaires furent suspendues, les tribunaux désertés, à tel point que les prêteurs, pour éviter la multiplicité des condamnations par défaut, ou des péremptions d’instance, durent demander au Sénat trente jours de sursis. Cependant les mesures de sûreté publique se succédaient de plus en plus ouvertement menaçantes pour les suspects : d’abord, citation de comparaître à jour fixe ; des garanties étaient encore accordées, on prolongeait le délai pour ceux qui se trouvaient hors du territoire de l’Italie ; puis défense d’assister les proscrits, non seulement de leur donner asile, mais même de leur vendre des aliments ; arrêt de mort contre les plus compromis (et l’élasticité des termes employés permit, de l’aveu même de Tite-Live, de comprendre sous cette dénomination presque tous les conjurés) ; enfin défense, pour l’avenir, de former des associations sous un prétexte religieux, sans l’autorisation du Sénat[1].

Les orgiastes, atterrés par la rapidité de ces mesures, furent réduits à l’impuissance. Dès la première nuit qui suivit l’assemblée des comices et la proclamation des consuls, beaucoup se donnèrent la mort, et un plus grand nombre, cherchant à fuir, furent arrêtés aux portes de Rome et remis aux magistrats ; néanmoins quelques-uns des plus riches et dont la prudence avait su se garantir des preuves patentes, purent donner caution et parvinrent ainsi à sortir secrètement de la ville. On ne fit pas de quartier : sept à huit mille conjurés dont beaucoup de femmes périrent à Rome dans les premières semaines qui suivirent ; les chefs du complot, amenés devant les consuls, proclamèrent hautement tous leurs crimes, et leur châtiment ne se fit pas attendre[2]. Il n’y eut d’exception que

  1. Le texte de ce dernier sénatus-consulte a été retrouvé à Tiriolo, en 1640 : son étude attentive contredit très manifestement l’opinion généralement répandue qui ne voit dans les orgéons que des sociétés religieuses. Ce sénatus-consulte ne proscrit nullement le culte de Bacchus ; même il n’interdit formellement qu’aux hommes seuls de participer aux bacchanales : les bacchanales mixtes ne peuvent compter plus de cinq membres dont trois femmes, une prêtresse et quatre fidèles. On saisit bien là l’intention politique qui veut écarter les hommes de la direction de ces sociétés. Il proscrit le serment des initiés par cinq expressions presque synonymes, de peur qu’on ne puisse éluder sa prescription.
  2. « Judicio moram non fecerunt » dit, avec une terrible énergie, l’historien latin.