Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/796

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guelfes se révoltent, chassent les riches et les nobles, battent les armées impériales des Henri IV, des Barberousse et des Frédéric II, couvrent l’Italie de ces petites communes qui furent en somme ce qu’on n’a jamais imaginé de mieux comme organisations politiques d’une démocratie, et l’Allemagne de ces villes libres dont la réaction nobiliaire de la Réforme devait commencer la décadence. C’était en somme un temps glorieux pour la Papauté que celui où les cardinaux de Grégoire IX capturés par la flotte républicaine après la défaite de la Melloria étaient chargés de chaines comme des galériens et où, Grégoire IX mort de désespoir, Innocent IV s’enfuyait à travers Ittalie, traqué par les sbires impériaux. Après ces luttes formidables, l’Empire fut abattu et Boniface VIII s’attaqua à Philippe-le-Bel, tyran de son peuple. Comment douter que si le vieillard d’Anagni avait pu exorciser ce revenant de l’Empire romain, la France fût devenue libre comme l’Italie l’était, comme l’Allemagne allait l’être et qu’un siècle plus tard, la Commune triomphait par toute l’Europe. Mais Boniface fut écrasé et ce fut l’État Royal qui triompha sur l’Europe ? Alors vinrent les papes d’Avignon, la « captivité de Babylone». Mais la tradition libertaire ne fut pas interrompue pour cela. Dans l’essai de révolution sociale du xve siècle, les prédicateurs cabochiens jouèrent un grand rôle[1] ; Jacques Legrand déclare que « les tailles ne servent à rien et que le roi est vêtu du sang et des larmes du peuple », et Eustache Pavilly préside un club dans sa cellule de carme, place Maubert. Un peu après, Savonarole établit pour un temps l’égalité évangélique à Florence et son entreprise, malgré l’accident de sa condamnation, a paru si peu contraire à la doctrine de l’Église que Benoit XIV en 1751, l’a mis au nombre des serviteurs de Dieu. Enfin, en 1525, à la veille de la Réforme, Guillaume Pépin, moine orthodoxe, déclare que la Royauté est l’œuvre du diable et de la bêtise populaire. Nous sentons déjà quelque chose du grand souffle de la Ligue.

En général, le peuple n’agit pas par lui-même : ou il suit l’impulsion de quelque individualité puissante, ou il se débat dans les stériles convulsions d’une Jacquerie sans but. Deux seuls événements font exception à cette loi fatale de l’histoire : la Commune antichrétienne de 1871 et la Commune catholique de 1588. Rien de plus mal connu et cependant de plus intéressant que cette Révolution de 1588 qui commença par une émeute des ouvriers de Saint-Séverin qui ne voulurent pas laisser arrêter un prédicateur anti-royaliste, et organisa une Commune de cinquante-quatre hommes du peuple dont sept prédicateurs. Tous les principes sociaux furent attaqués et remis en question. Étrange époque où le prédicateur Trahy faisait un crime à l’évêque Amyot de cette parole : « En tout état de gouvernement il faut qu’il y ait quelques-uns qui commandent et d’autres qui obéissent », et le faisait chasser d’Auxerre par les

  1. À noter que, par tradition, dans le grand schisme d’Occident, ils penchaient plutôt pour le Pape de Rome.