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Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/260

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O voyageur, parle-moi des pays d’où tu viens ! — Ma patrie !

Je voudrais tant la connaître ; je ne l’ai jamais vue. Je voudrais voir un jour la terre où je suis né ; je ne puis être heureux, je suis chez l’étranger. Oh ! la voir, la Révolution ! — et puis mourir.

J’ai su pourtant un peu… mais j’étais si petit ! On était caché derrière des murs ; on avait des fusils ; on faisait pif ! paf ! poum ! Alors des petits soldats s’abattaient. C’étaient ceux de l’Ordre. Ils nous apportaient l’Ordre. L’Ordre ! pas le bonheur. Et la joie, ils l’ont prise.

Hélas ! et cependant on s’était bien battu ! Les uns, c’était pour tuer, les autres pour voler ; d’autres, comme moi, pour rire. Et puis l’on m’a dit depuis, il y en a que c’était pour fonder le bonheur de l’humanité. Oh ! quand pourrai-je me battre pour faire comme ceux-là ?


— Enfant ! enfant !

Dans le fossé de ma mémoire où elles ont culbuté, irai-je les ramasser, les révoltes d’autrefois ? Tu n’as vu que la dernière, j’en ai vu de plus belles ; il y en a dessous, recouvertes d’autres cadavres, qui hérissèrent de plus fringante liberté le rêve lâché une heure dans la réalité. Pouah ! l’Ordre revint toujours, et il le fit rentrer. Mourant de faim et de coups, et bridé solidement, le rêve plus jamais, vois-tu, ne s’échappera.

— Je le délivrerai.

— J’ai vécu pour la honte. Ils sortaient de partout, plus nombreux que les limaces après l’orage ; la terre vomissait toute son abjection. On tua, où dénonça, ce fut atroce et vil ! Enfin l’ordre régna. Il y eut M. Thiers, et on fit des affaires. Et il y eut l’exil, le bagne, et il n’y eut même pas la gloire ! et le nom des héros, des soldats, qui quittèrent l’armée de la France pour l’armée de l’idée, et les jours de triomphe, et le peuple qui mangea son content plus d’un mois, et le pays sauvé des monarchies urgentes, et l’atroce vengeance, la moisson de tout ce qui avait pensé généreusement, — tout s’est pourri sous la pluie lente de l’oubli. Non ! ce n’est pas la lente et douce convalescence, la reprise de forces, viande, fer, pour une vie neuve… Oh ! le peuple, roi pas assez roi, ne tua pas assez !… la trombe qui s’abattit en ébranlant la terre, cassa ce qui se dresse, épargna ce qui rampe ! — Mais eux, je crois qu’ils ont tué suffisamment ! Ce n’est pas la convalescence, c’est l’agonie.

L’on est vieux, l’on est las, et faible, l’on est humble, et la bête blessée lèche le sang de ses plaies.

Ici une société meilleure… maintenant ! Non.

Il est des terres neuves, ou créant de pied en cape la société qu’il rêve, à sa mesure l’homme peut se tailler une patrie.

Qu’elle soit sous des soleils plus heureux, la Nouvelle ! Celle que