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Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/350

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Temps très long qui passa très vite. Premier bonheur, qui s’effeuilla, et mot par mot s’en fut au vent de leur parole.

— Où allons-nous ?

Ils se le dirent, ils l’ignoraient.

— Qui êtes-vous ?

Ils se le dirent, ils l’ignoraient.

Et leurs noms ? Georgette. Jean. Ils se le dirent.

Voilà. Ils savent maintenant leurs noms et qui ils sont. — Et cela fut bien inutile, ne leur a rien appris. Leurs mains en se touchant leur en avaient tant dit…

Que se dire à présent ? Le ciel est pur. Il fera beau.

Oui, il fera beau, très beau en leur cœur exalté, où l’amour brille, et chauffe et brûle, pur, radieux. Brille, flambe ! mais se consume.

Mille petites émotions pétillent et crépitent. Plus tard il y aura de la cendre rouge très longtemps. Mille petits troubles, les plus doux de tous : un geste, un mot, un tremblement, — des étincelles. Fatalement irrécouvrables. Choses dites une seule fois.

Solennel, le jour passa. Et comme à des départs pour de longues absences, où tout devient important, où chaque parole qu’on dit se fait inoubliable, ils écoutèrent attentivement chacune et quelconque des paroles vagues qu’ils se purent dire, gravant en eux avidement, profondément, l’air et la forme et tout le souvenir — provision de joie pour tout l’hiver de leur vie — tout le souvenir de chacune des minutes qui composèrent ce premier jour d’amour, leur départ pour la vie.

Minutes douces, ineffablement douces, qu’avares ils buvaient à très petites gorgées, et eussent voulu garder à jamais dans leur bouche…

Tandis que le destin ricanait derrière eux :

— Beau faire ! Beau faire ! Tu ne revivras pas celle-ci. Celle-ci, celle-là, aucune ! Tu ne les revivras pas !

Ils furent aux parcs majestueux, et aux clairières des bois qui dominent la ville.

En bas, Paris, champ d’or, tout prêt à moissonner. Paris ! des toits, des toits… blé dru, égal et fort. — Ils contemplaient. Enfants venus de là-bas, larves des profondeurs de ce champ de toits cachant l’exact sillon des rues, ils s’étonnaient, soudain papillons aux belles ailes, de planer au-dessus des blés sous lesquels ils rampèrent.

Entre les épis naissent d’humbles fleurs. Leur amour était né dans le petit creux de temps que laisse la journée entre le travail et le repas. Jacinthe qui se contente du bord d’une fenêtre. Georgette portait avec précaution deux assiettes chaudes. La fumée entre les deux assiettes s’échappait ; et ça faisait de la brume au soleil fou de ses cheveux. Plus ténu que la fumée, leur amour, filtrant par la fente des heures, était monté pourtant, était monté très haut, faire du soleil fou à la brume de leur âme. Ils s’adoraient sans s’être choisis ni cherchés, comme on lie connaissance sur la route