Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dimanche ! jadis douloureuse journée, pour lui, seul à être seul ! Des bandes nombreuses marchaient vers le vert et l’azur, à pas pressés. À très timides pas, il allait, si enveloppé de bonheur qu’il avait peur d’en écraser sous ses pieds.

La Seine souriait aux pieds de Notre-Dame. Paris le Vieux, bronzant sa pierre noire et feuillue au soleil, souriait au printemps comme à un souvenir. Le ciel strié d’oiseaux, le fleuve strié de bateaux, étaient également bleus.

Là elle devait venir. Là en effet elle vint. Et il la vit un peu avant qu’elle parût.

Il n’alla pas à sa rencontre. Ou bien il n’osait pas, et c’était malgré lui, ou bien il espérait que sa venue vers lui s’en prolongerait un peu.

Elle, sentant sans doute d’un reflet sur son âme toute la beauté de sa venue ensoleillée, venait à pas très lents, coquette, fière et joueuse. Vernis qui donne du profond à une couleur, un glacis de larmes ombrait le sourire de ses yeux ; et l’enjouement de son geste, un crispement de doigts le faisait anxieux.

Quand elle fut tout près, ils se dirent bonjour, et se serrèrent leurs deux mains tremblantes un peu. Puis ils demeurèrent là, le cœur gros de paroles trop grosses pour passer.

Jean ne disait rien. Lui-même ne se serait pas entendu parler, tant la joie criait haut en lui, couvrant toutes les paroles qu’il avait envie de dire, et les disant en lui, avant lui, et pour lui : — Ivresse ! ivresse ! C’est donc vrai ! Je t’ai donc, petite femme, petite à moi, petite qui m’aimes. Je t’aime. Viens ! viens en moi, à la lumière ! Le soleil même est terne et sombre. Entre dans moi ! Oh ! je t’emmènerai vers les solitudes vertes, sur l’herbe aimante, et les feuilles mortes qui se souviennent ! Je te ferai heureuse. Le ciel, la verdure et moi, t’enfouirons dans de la joie. Et tu seras à moi, à moi ! Nul ne peut venir te prendre, car nul ne pourra, chérie, te faire plus de bonheur que moi !

La petite main fourrée dedans la paume de la sienne disait oui.

Silencieux, très grand, le fleuve les emmenait. Ils passaient le long des palais, et des ruines, et des taudis à misère, et des usines, des guinguettes où l’on vend le bruit du plaisir, et de la triste banlieue jonchée de tous les cadavres que laisse le combat de la ville et des champs. Mais la verdure enfin triompha le long de l’eau.

Les choses fuyaient sous eux, autour d’eux, au-dessus d’eux. Plus vite encore, en eux fuyait le temps rapide. Félicité de l’entrée de l’amour. Ils ne bougeaient pas, de peur qu’un mouvement hâte le temps. Ils ne bougeaient pas. Le temps, que ne faisait-il comme eux ?

Tout à l’heure ils parleraient. Pour l’instant et du long temps encore, il suffisait de la robe qui frôle et des doigts qui effleurent, et du regard qui de très loin touche très au fond.