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Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/355

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— Pour toujours.

L’un dans l’autre, ils se rendormirent.

Ils se réveilleront plus tard. Il y a, dehors, des gens qui souffrent. Mais ils n’entendent pas les souffrances des hommes. Même leurs propres souffrances, ils ne les entendraient pas ! Demain — demain, aujourd’hui, déjà !… Le soleil monte !

Est-ce que, pour travailler, la société ne les attend pas, dehors ? Oui, dehors, là où il y a des gens qui souffrent. Est-ce vrai ? Peut-être, oui… Mais ils ont oublié.

Ils ne travailleront pas aujourd’hui. Grâce ! un peu…

Il y a des gens qui souffrent… Hélas ! c’est comme cela… Un peu de pitié au moins pour ceux qui sont heureux !

Il y a des gens qui souffrent. C’est, dehors, un chant mélancolique, une longue plainte faite du gémissement de tous, ô douleur !… Non, te dis-je, ce n’est qu’une romance, vraiment vilaine, interminable ; oh ! qu’elle cesse ! Tu sais ? elle ne fait pleurer que pour rire. Ne pleure donc pas ! Donne tes larmes, que je les boive. Mes lèvres se salent de tes yeux ! Que dis-tu ? Il y a, il y a vraiment des gens qui souffrent ? Que ne font-ils comme nous ? Que n’aiment-ils pas ?

Il y a des gens qui ont froid. Que n’aiment-ils pas ?

Il y a des gens qui sont moroses et fatigués. Que n’aiment-ils pas ?

Ils ont faim. Ils ont soif. Je te mange et te bois, tu me chauffes et me recouvres… Que n’aiment-ils pas ?

Mais ceux-ci ragent et hurlent ! Ils crient justice ! Des bêtes qui veulent du sang et dont ce cri : justice, serait le rugissement… Insensés ! Insensés ! Quelle langue parlent-ils, et comment les comprendre ? S’affranchir ? Mais les chaînes de tes bras sont si douces !

Vivre est si bon ! je t’aime, Georgette…

Que n’aiment-ils pas ? Le mal, la haine, la souffrance… Serre-moi bien ; il n’y a plus de place entre nous deux.

Rien ne nous atteint plus. Je t’aime, Georgette.

La vie les atteignit.

Grain à grain, ils prièrent le rosaire des journées et des nuits, toutes journées et nuits d’amour, pleines de ferveur. Et ces jours et ces nuits furent les prières immuables que, toujours à genoux et toujours adorant, l’on récite machinalement des doigts, des lèvres, afin que nul geste et nulle pensée, cherchant des mots, et rien du corps, réduit à machinale besogne, ne vienne distraire de l’extase l’âme pleine de Dieu.

Changeant de nid, comme d’existence, très haut, parmi les fumées et les oiseaux, pas bien loin des nuages, au milieu d’un