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L’anarchisme en Chine

Léon de Rosny : Le Taoïsme.
De Mailla : Histoire générale de la Chine.
D’Escayrac de Saussure : Mémoires sur la Chine.
Documents parlementaires anglais sur l’insurrection
de 1853.


Si l’on veut étudier le développement de l’anarchisme dans toute la simplicité de sa logique, c’est en Chine, dans l’immense Empire du Milieu, qu’il faut transporter son étude. Là, le problème libertaire s’est posé avec une netteté partout ailleurs inconnue. Depuis vingt-deux siècles, la Chine est devenue l’apanage des disciples de Confucius, c’est-à-dire d’une école essentiellement positiviste qui a su enfermer tout le problème de la destinée humaine dans les données d’un utilitarisme matérialiste : l’illustre Nation ne connaît, à proprement parler, ni Dieu ni l’homme ; seule, la science, appliquée aux préoccupations purement pratiques de l’administration et de l’économie politique, communique, par l’impulsion routinière de ses innombrables adeptes gradés et chamarrés à l’envi, à tous les membres de ce corps immense, une vie calme, monotone et abrutissante.

Le Chinois est toujours père, fils, fonctionnaire ou administré de quelqu’un ; l’empereur lui-même n’échappe pas aux mailles de l’immense filet qu’une hiérarchie trop rationnelle étend sur toute cette fourmilière ; on se préoccupe toujours des rapports des parties avec le tout, mais jamais ces parties ne sont considérées en elles-mêmes ; l’Individu est absolument inconnu. On conçoit aisément l’immense sentiment de révolte qui doit soulever certaines âmes contre l’effroyable machine administrative et scientifique qui continue sa rotation à travers tant de siècles, broyant les volontés, les intelligences et les cœurs en une pâte uniforme ; mais la machine était si bien construite, d’après des données si rationnelles que vingt-deux siècles n’ont pu l’user et qu’il a fallu, bon gré, mal gré, que tous les éléments divergents entrassent dans l’horrible pâte ! Il n’en est pas moins digne d’intérêt de tracer des convulsions de leur résistance un rapide tableau.

Le père de l’anarchisme chinois est le philosophe Lao-Tse, qui vivait au temps de Pythagore (600 av. J.-C.) ; et était, par conséquent, contemporain de Confucius. Il n’admettait d’autre principe que le Tao ou l’Être un et indéterminé, et il tirait de là toute sa morale et toute sa politique puisque : la Nature seule existe, tout ce qui en sort est bon et le bien consiste à vivre dans l’état de nature, sans passions compliquées, sans lois pervertissantes, sans