Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/398

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guerres vaines[1]. Mais la simplicité et l’indépendance du Vieux-Philosophe furent sans forces contre les finesses, les séductions, la souplesse de Confucius.

Lao-Tse était mort à peine, que l’Idée libertaire délaissait les raisonnements de la philosophie dont ses adversaires semblaient avoir accaparé le monopole pour se jeter dans les spéculations religieuses et les rêves d’affranchissement mystique. On connaît fort mal la doctrine des Tao-Sse qui, se basant sur une interprétation allégorique du seul ouvrage de Lao Tse répandaient dans le peuple de vagues espérances de Messie pacifique et bienfaisant ; mais on ne saurait méconnaître leur main dans tous les essais d’affranchissement.

Lorsqu’en 247 avant Jésus-Christ, le fameux empereur Tshin-Hoang-Ti, dont les ancêtres, sortis du peuple, avaient fait l’apprentissage du trône dans les populeuses vallées du Ho-nan, centre de la prédication taosséiste, eût élevé son pouvoir sur les ruines de la féodalité des Tchéou, son ami Li-Zu, disciple des Tao-sse, inaugura ses réformes démocratiques en faisant rendre le fameux édit de 213 qui proscrivait la mémoire de Confucius, ses livres et ses adeptes. Le fils de Hoang-Ti, Eulh, tenta même, sous la pression des Tao-sse, toute une révolution : la hiérarchie fut brisée, les riches expropriés et leurs dépouilles jetées au peuple ; mais les féodaux unis aux lettrés commencèrent un soulèvement général qui se termina en 202 par le suicide de l’empereur anarchiste[2] et l’extermination de sa race abhorrée et maudite.

Désormais les taosséistes n’eurent plus d’espoir que dans les sociétés secrètes et les jacqueries populaires.

On les voit reparaître périodiquement, chaque fois que, sous la pression des événements, la machine administrative semble subir

  1. Qu’on détruise les armes ! (Tao-Teh-King, ch. 80) Une victoire, c’est une calamité publique, et là où s’arrêtent les soldats, il naît des épines et des ronces. À quoi servent les rois ? les peuples se pacifient d’eux-mêmes sans que personne le leur ordonne (id., ch, 32), et si le chef de l’Etat est trop clairvoyant, le peuple est privé de tout (id., ch. 58), parole vraiment terrible, qui condamne l’autorité dans son essence, et lui interdit même de faire le bien. Tout au plus, peut-on supposer à la tête de la société une sorte de pape qui se renferme dans le « non-agir » (id., 46) et soit un modèle public de la simplicité de vie (id., ch. 57) ; mais qu’il se garde de légiférer ; plus les ordonnances sont minutieuses, plus on met de ruse à s’y soustraire, et plus s’accroît le nombre des malfaiteurs (id., ch. 47). Enfin, pour rétablir la paix, la vertu et le bonheur, supprimons la propriété, car « lorsqu’il y a des palais somptueux, les champs sont incultes et les greniers vides ; lorsque les princes, armés du glaive, se revêtent de riches étoffes et se gorgent de mets savoureux, ils sont des voleurs » (id., 53) et Meh-Tih, disciple de Lao-Tse, écrivait ; « Si chaque homme regardait la maison des autres comme sa propre maison, qui donc songerait à voler. » (Meh-Tse, édit, de 1757, iv. II, p. 7).
  2. Par suite d’une mystérieuse loi de concordance, les bouleversements sociaux de l’Orient coïncident généralement avec ceux de l’Occident. Nous en voyons ici un premier exemple : Le règne de Hoang-Ti et de son fils correspond à peu près à la vie d’Hannibal et à la conjuration des Bacchanales romaines.