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Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/432

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défaire. Plus rien même dont on se puisse priver. Travaille. Où ? Quand ? Comment ? — Il n’y a pas de travail.

Une bête aux yeux louches rôde autour des maisons closes. Quand elles le voient les mères serrent bien fort dans leurs bras leurs petits qui s’y blottissent.. Le loup affamé rôde autour des maisons closes d’où s’échappe le fumet du repas qui se cuit. Autour des ateliers rôdent les sans ouvrages. Alors les ouvriers se penchent sur leur besogne et travaillent plus dur.

Qu’ils travaillent ! Le sans-place est là qui guette la leur. Pas un jour de négligence ou de paresse, pas une distraction… qu’ils ne tombent pas malades ! Lâche ta proie, elle est prise. Les dents longues, autour, rôde le sans-ouvrage.

Comme il fait peur ! C’est un ouvrier tout comme nous. On dirait un qui serait redevenu sauvage. La mine humble et féroce, la face maigre et les yeux caves et ternes qui soudain scintillent d’éclats fauves, ainsi que s’allument de tremblottantes étoiles dès que la lumière, cette nourriture du firmament, s’épuise.

Sauvage ! Ah ! tout du ciel, de la terre et des hommes, toutes les choses sauvages sont venues fondre sur lui. La pluie, la neige, la boue, le froid, la faim, la rage, l’anxiété, la douleur ont attaqué et minent et détruisent son corps, ses habits, sa santé, son courage et la bonne mine qui ferait que l’on aurait confiance. Ses souliers, sa casquette, les loques rapiécées où il habite toujours sont comme une maison que l’on n’habite plus, où entre le vent, la pluie, que l’on s’est lassé même de réparer et qu’effrite et délabre le temps, à volonté. Qui peut se nicher là est le rebut de tous. Maison maudite, au bout du pays. On l’évite. Car peut-être, des bandits s’y sont réfugiés. À certains jours de troubles, on les verra sortir. Qu’ils viennent ! ces jours où l’on sortira de sa honte !

Qu’ils viennent ! Ils viendront. Mais vivre jusque-là ! La faim avant ce jour vous chasse du repaire.

Attendant… on grignoterait n’importe quoi. Une humble, basse besogne. On ferait tout. Il n’importe. Si dur, si mal payé que ce soit, on accepte…

Mais on trouve ! Il y a de l’ouvrage dans les villes, si l’on veut ? Il n’y en a pas.

Il cherche bien. Il demande, il s’informe. Vainement.

Oh ! les mines dures, revêches, l’arrogance des demi-parvenus, de contremaîtres plus chiens que patrons, des parvenants…

— Peuh ! Repassez.

Je suis sans ouvrage. Depuis longtemps. J’accepterai tout.

Oh ! la mine contente ! Celui-là ignore la faim, ignore toute douleur. Du haut de sa joie, il regarde, intéressé. Les insectes se débattent, agitent leurs pattes dans l’eau. Ces bêtes feraient pitié si elles n’étaient si petites. Même on les aiderait, s’il ne fallait pas, se dérangeant, remuer un doigt…

— Pourtant, repassez.