Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

— Je n’ai pas d’ouvrage. Et l’on a faim à la maison.

— Demain, peut-être, oui, repassez, repassez.

Je n’ai pas d’ouvrage. Il faut que j’en trouve. N’importe quoi. N’importe quel prix. Je n’ai pas d’ouvrage…

Ici, ne repasse pas. La porte apeurée se ferme. Cette chose de bois qui bouche ta plainte et te la rentre, cette porte qu’un coup de poing cependant enfoncerait… Ah ! elle est moins cruelle, moins lâche que les visages pleutres aux mines qui s’apitoient. Elle ne fait pas traîner ces repassez sur la douleur à vif, n’étend pas sur la plaie le poison du faux espoir.

Pas d’ouvrage. Même de bonne volonté ? Pas d’ouvrage.

Valide, fort, travailleur, intelligent en somme… Mes bras, mes deux bras… là… pourraient faire quelque chose…

Pas d’ouvrage, pas d’ouvrage !

Mais les hommes plient sous le poids… les femmes, même les enfants… je puis les aider, ils sont accablés de besogne…

Non.

Quoi ! Il n’y a pas de travail… On ne peut pas, en travaillant, au moins manger. À Paris, de nos jours, en pleine saison…

Cela est.

Où l’on est trop, il faut qu’il y en ait qui partent.

Il y a trop d’hommes, il n’y a pas assez de travail.

Sans travail, pas de pain. Tu admis cette loi. Cesse donc de manger, ou cherche d’autres machines, roue inutile, si tu veux resservir. Depuis quand la ferraille que l’on jette au rebut, lutte-t-elle contre la rouille et se veut-elle nécessaire ?

Mais le travail est libre. S’il l’est ! Toute une armée en France n’a d’autre rôle que de défendre sa liberté. Principe sacré de la liberté du travail, que ceux qui ne font rien sauront défendre comme leur propriété, quels lâches, ne consentant pas à mourir, le renient ! J’ai faim. Ce pain est de trop. Il est donc libre. Mange.

— Je suis sans toit. Voici des palais libres… Entre… — Mais du travail, du travail libre, je n’en puis prendre ?

Libres ! cela sonnait dans le mot République. Nous l’avons… On s’est bien cru libre ! Mais on a faim…

Liberté, idole de France, ô cri de guerre ! mot sonore dans la bouche, drapeau éblouissant, chimère de la Révolution originelle, qui engendra toutes les idées que nous proclamons, toi qui te levas dans le sang, fanatisant les peuples, ainsi qu’un Dieu nouveau, toi qui te répandis sur toute la terre, et que la simonie de tes prêtres n’a pas tuée, ô toi qui as tant fait souffrir, que tu es belle quand la soupe est chaude, le pain blanc !

Il n’y a jamais de libre que ce qui est en trop. Le travail, on se l’arrache, on se tue pour l’avoir.

Il n’y en avait pas même pour ceux de France.

Et du Nord, du Midi, d’ailleurs, il en est venu.