Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/438

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en porter le poids… Mais d’autres hommes, comprendre ! Le vent qui fouette, le pavé qui s’enfuit sous la hâte des pas, l’herbe, la terre, le ciel, même les murs… écoutent ! Ils s’intéressent, versent l’apaisement, reflètent ton âme. Mais tu projettes en vain tout ton cœur dans des mots ; ils frappent aux oreilles, frappent, redoublent, cognent comme pour les enfoncer… On n’ouvre pas. Tu guettes vainement aux yeux ; là, se montrerait quelque chose de toi qui serait entré, qui serait en d’autres. Rien. Rien de toi hors de toi… Ils ne comprennent pas.

— Votre bonheur… le vôtre… Demain, tout de suite, possible !

— Écoutez-moi ! Je tiens le moyen de vous faire heureux !

Des mots ! Farine fade qui n’a pas levé. On ne peut pas deviner que c’est le pain futur…

Ils écoutent ceux qui disent : plus d’étrangers chez nous. Ils ont vu l’étranger venir leur voler le travail. Ils écoutent ceux qui disent : mort aux bourgeois. Car ils envient et ils détestent. Ceux qui disent : voici du travail, ils les suivent ; car le travail donne du pain et ils ont faim ; et ceux qui prêchent la guerre, la revanche, les batailles, ils les écoutent car ils ont soif aussi de sang.

Courbés sur l’éternelle tâche, séculaires maniaques, ils n’entendent que par leur ventre affamé. Terre promise ! Vie heureuse, dont nous tassons le lit pour nos petits enfants, sommet dont on est fier de n’être, tout en bas, qu’une pierre du sentier qui monte… ils tendent la main.

Qu’est-ce que tu vas leur donner ? Le monde futur ?

Oui, le monde futur est apparu aux hommes ; — ainsi jadis la Vierge, les saints apparaissaient… L’un les voyait splendides, couverts d’étoffes précieuses, dans des lumières, les autres les voyaient très simples, tout comme nous. La Vierge, les saints, étaient pourtant toujours les mêmes…

Le monde futur, simple ou splendide était le même.

Ici, on travaillait ce qu’il faut pour que tous puissent vivre. Puis librement, pour le luxe, jeu, plaisir, pour tout ce que l’on voulait, si l’on voulait, l’on travaillait.

Les uns disaient : il y aura des armées de travail. On servira ! On fera trois ans dans le travail… on sera soldat, non pour défendre la patrie… pour la créer !

D’autres mettaient tant d’heures à chacun, tous les jours.

D’autres, sûrs qu’il y aurait assez, brisaient toute chaîne. On sera très riche. Tout sera mis dans un tas. On prendra. Comme c’est simple !

Était-ce moins simple en s’approchant ? Peut-être… Mais comme on ne s’approchait jamais..

Pas d’ouvrage ? La faim, la misère, le froid, l’ennui… Qu’il était loin, le minimum de salaire, maximum de travail, conquête lente du franc l’heure, et d’un peu de franc repos…quand pour quelques sous, pour des croûtes, on eût donné des jours, des nuits, aux plus