Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/439

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viles tâches, au ! vraiment, tout en or, et descendant du ciel, le monde futur n’était pas plus loin de deux pas ! — Deux pas ! si l’on n’avait pas de jambe pour les faire ! C’était ainsi qu’on le voulait, dans la foule, non pas tout près de nous, mais sept cieux au-dessus, non pour y vivre, mais afin qu’il nous aide à vivre, non pas pour le créer, mais pour le trouver beau.

Même cela, tu ne l’offres pas ! Les mains vides, tu veux parler aux affamés. Oui ! tu montres le chemin. Mais ils ne peuvent plus marcher. Si proche soit la ville, c’est au ciel qu’ils regardent.

Ils ne t’écoutent pas. Qu’entendraient-ils ! Doutes, vains espoirs, idées dont toi-même n’es pas sûr…

Et que cependant tu parles déjà de réaliser…

— Belles phrases, idées complètes, un monde tout prêt, travail, gain, lois, récompenses, drapeaux, avancement… tout, quitte à n’avoir rien ! Mais que ça brille !… — Alors peut-être on écoutera…

Parle à la nuit, à l’herbe des espaces solitaires, aux murs des rues désertes, au toit de ta mansarde… Si tu parles de choses qu’on peut, les choses, qui ne peuvent pas, elles, seules écouteront.

Au moins quelques amis avec qui… Quoi ! Pas un !

Messie, pauvre Messie sans disciples ! — Pas un !

Chez lui la femme, l’enfant…

Ceux-là l’aiment. Mais ne veulent de lui que du pain.

Messie ! Pauvre Messie sans disciples. Seul, — seul.

Hargneux, il cherche de l’ouvrage.

Et les autres qui en ont s’écartent de lui, et vivent, tant qu’ils en ont, leur misère avec joie, — comme un crasseux se coiffe d’un chapeau défoncé, satisfait de ses loques avec un rêve dessus.

VI

Pilleux trouva de l’ouvrage.

On construisait la rue Étienne-Marcel. Pilleux trouva de l’ouvrage. Il cassa des pierres.

Dure déchéance ! C’en était fait ; on ne l’utiliserait plus, cette tête trop lourde. Masse inutile, faite pour accabler le corps, enfanter en lui déception, honte, inassouvissement, ressentir l’âpre douleur ; amas de conceptions fausses, grenier aux utopies, Babel de chimères, — à jamais là, rivée au corps pour le martyriser, chanter sa déchéance, ulcérer sa misère, le tenailler de désirs, pauvre cervelle congestionnée, dont pas une cellule n’avait vibré efficacement.

À quoi ça servait donc, cette masse pensante ? À jamais dédaignée. Elle ne ferait pas de bien, ne perfectionnerait rien, même la société, ne serait pas si profitable que ces bras, qui du moins nourrissaient une femme, un enfant.

Bien, elle ne serait rien que machine à souffrir, glande à secréter le fiel de l’irréalisable, meule à broyer la rage, à jamais, à jamais ! Jusqu’à ce qu’un jour peut-être, éclatant de trop de rêve, et en