Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/130

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Laisse ta vengeance. Ses fruits tu ne les verrais pas. Ta vengeance ? Rien et ça vont également au but. Elle frapperait les heureux. Il n’y a point d’heureux. Elle frapperait les bourgeois… Regarde. Compte les vides. Tu t’attardes aux espoirs de révolte et de monde futur. La retraite a sonné pour tout ce monde-ci. Mais on ne va nulle part ailleurs que vers la tombe…

Regarde. Compte les vides. C’est la race de France, la tienne, celle qui a fait les révoltes de jadis…

Multiplie ! dit la nature. Restreins ! dit le rentier. Il te montre l’exemple. La route de la richesse : exploiter et restreindre. Car il est riche, il dresse sa puissance d’or comme un arc de triomphe sur la route de la mort, où il va. N’est-ce pas lui qui toujours contredit la nature, qui érige ses droits où se heurtent tes désirs, qui te barre le gîte, la nourriture, l’amour, tout ce que la nature donne… Mais elle donne la vie ! — Lui ne la donne pas.

Ici, le riche s’arrête ; entends son cri d’alarme ; Dieu affole qui il veut perdre. Soudain le riche oublie le principe qu’il proclama, l’exemple qu’il donna, sa route vers la richesse ; il voit la mort au bout, il appelle au secours ; toi, pauvre, à son secours ! Ivre, il parle de religion, patrie, est-ce qu’on sait… Je crois qu’il parle d’amour ! Pauvre ! fais des enfants, fais-lui, oui, des enfants…

Pour la France !

C’est qu’il n’importe pas, père, que tu vives heureux ; il importe peu que les enfants de France voient la lumière du ciel, respirent l’air du pays, soient gais, au moins le temps qu’ils sont petits, le temps d’aimer la terre qu’on leur donne à défendre, et que toi, nous tous, eux plus tard, vivent, — heureux serait trop, — mais tranquilles sur le pain, le travail, puissent avoir une femme, un peu de repos parfois, et une vieillesse. Il importe d’être un gouvernement, et que la société, non ceux qui la composent, soit tranquille, que l’on puisse aligner de belles masses de chair où mordent bien les fusils ; il importe d’avoir des cités aux rues larges, des parcs à fainéants, des quartiers propres, qu’il y ait un Opéra, des arts, de la pudeur et des filles, des statues, des ministères, des gardes municipaux, et que, sale en-dessous, il y ait dans la société astiquée la correction d’une tenue militaire.

Fais des fils, pour qu’ils soient en nombre à produire l’or, et s’empêcher mutuellement d’en jouir, en nombre pour qu’une digue de chair bien armée protège l’ordre social contre tes cris, tes révoltes, ton odeur d’ouvrier, ta famélique marmaille…

À quoi bon un de plus.. ! Le pauvre même se l’est dit. Rêves de monde meilleur, d’humanité complète, toutes patries réunies… Utopies, utopies ! — Ne serait-ce là que le cri de la race lassée, qui, incapable d’aller plus avant, tombe en route, et rêve dans son sommeil qu’elle arrive déjà ?

Pays de misère, pays de déchéance, terre d’ennui, belle France qui t’éteins doucement, ramenant, pour te couvrir, ce qui reste de tiédeur