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Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/137

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elle l’eût trompé ; elle battait son enfant. Qu’ils la quittent tous deux, ceux à qui elle n’a plus que du mal à faire ! Ils se rompent, ces liens tenaces de la misère. Maintenant, vivre ! seul but enfin de la vie : vivre ! Seule au monde, mais nourrie ; sans joie peut-être, mais avec ce sans quoi il n’est jamais de joie : la nourriture. Sois donc heureuse, malheureuse !

On tousse, en face ; on ronfle à côté. Ici l’on meurt. Le râle enfantin secoue la nuit.

Le père, s’il rentre demain ou plus tard, ne reverra plus son gamin adoré. Dès l’aube la mère, le prenant dans ses bras, l’emmitouflant de loques, doucement le descendra, et le mènera là-bas… elle sait où ; — il sera bien. On dit qu’aux pauvres qui meurent, qui veulent bien mourir, la société se fait tendre, devient une bonne mère, prépare des petits lits blancs, même offre du bon vin pour arroser l’adieu…

Oui, tu iras, petit Jacques. La patrie t’appelle un peu tôt. Patrie, terre des pères ! Patrie ! terre des morts ! Patrie, c’est ton enfant. Prends enfin soin de lui.

La mère le quittera. Et le père l’a vu pour la dernière fois.

À l’hôpital !

Un lit chaud, bien doux, blanc, de bonnes choses à manger, de grandes fenêtres claires… On y a même des sortes de mamans qui vous soignent.

La vraie maman encore une fois, berce le petiot.

— Dors dans mes bras. Demain, je te jure, tu seras mieux…


La nuit lugubre passe. Les heures fuient dans l’ombre.

Les heures !

Nulle pendule ne les sonne. Aussi elles sont si longues ! Quand quelque chose qui dit l’heure n’est pas là, le dîner, le manger ne sait pas qu’il doit venir. La faim se prolonge infinie comme l’ombre. Il n’y a plus de temps, il n’y a que de la souffrance. Un amas de nuit, un peu plus épais seulement, là où se tasse le groupe de la mère et de l’enfant… C’est plus noir là, parce que c’est plus douloureux.

Cependant ces silhouettes immobiles avancent. L’immobile nuit, les heures qui semblent s’être figées les entraînent. Ces ténèbres, comme le vent une fumée, l’aube les dissipera. Cette nuit si dense reculera devant le soleil, et le froid, si dur, un rayon, moins qu’un souffle, très doux, va le briser. Encore la nuit traînera-elle sur l’horizon, les étoiles pâliront dans une lente agonie — mais l’agonie de cette femme et de cet enfant dans l’ombre… — qu’il paraisse seulement du pain, un peu de pain, et soudaine, surgira la vie, d’un coup si brusque… que la faim et la mort s’abattront, assommées.

Des yeux clairs, des joues vives, des mouvements de joie vont fleurir de cette silhouette de deuil et d’hiver… écoutez ! écoutez ! Des pas ! des pas qui montent !