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Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/416

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lation ; ils allèrent chercher les aïvasses, serviteurs arméniens dont la venue apporta quelque distraction aux femmes. Ces serviteurs sont généralement de beaux hommes, superbement vêtus dans les maisons riches ; ils ont des vestes brodées et, autour des reins, des ceintures de fin cachemire des Indes ; à leur cou très dégagé s’enroule une chaîne d’argent retenant une montre prise dans plusieurs boîtiers d’écaille. C’est un plaisir de les voir entrer au harem avec leurs larges plateaux posés sur leur tête et couverts de mets. Un dôme de métal couvre ces plateaux et sur le tout on jette un drap de soie pourpre. Quand ils arrivent à la file on croirait voir de gigantesques coquelicots qui marchent.

Le prince avait attaché au service de sa cour l’inévitable miss qui apprenait le français et l’anglais aux enfants et aux esclaves désignés comme ayant mérité cette faveur. Je fus de ceux-là, et miss B. me déclara intelligente, mais indomptable. C’est en vivant à ma guise, en effet, et courant à droite et à gauche que je suivis les leçons de la pauvre miss qui cependant me profitèrent.

Je ne pouvais quitter des yeux le prince Halim. Dès ce moment je m’attachai à ses pas, lui présentant ses cigarettes et m’offrant pour toutes les commissions. Lui, quand je restais trop longtemps absente, me faisait chercher, m’asseyait avec lui sur le sofa et, prenant ma tête dans ses mains, il m’embrassait et enroulait mes longs cheveux blonds autour de son cou :

— D’où viens-tu, mon enfant ? me disait-il doucement, tu te feras voler par quelque brigand, tu cours dans les marchés et tu laisses loin de toi les esclaves.

— Jamais, lui répondais-je, tout le monde me connaît et m’aime. On m’aime de te plaire, on sait que plus tard je serai ta femme et que tu seras le roi de ton Égypte.

Il souriait doucement et caressait mon front de ses doigts fuselés, tandis que je le regardais de tous mes yeux, déjà les yeux d’une femme qui aime...

Cependant le besoin d’aller et venir était chez moi plus fort que tout. Suivie à distance par une aïvasse, j’allais visiter les harems des grands personnages. J’y avais une réputation de gentillesse et de drôlerie qui me faisait partout bien accueillir. Quelquefois je dansais pour les pauvres caïdqjés, puis, en les quittant, j’entrais au harem du Cheik ul Islam où je prenais part à la prière des vieilles dames fanatiques. On lisait le Coran sans le comprendre, on soufflait pieusement dans ses mains. Pendant le Ramazan, j’allais rompre le jeûne tantôt avec un aide de camp de Sa Majesté, tantôt avec la femme d’un misérable pêcheur. Ou bien je suivais un enterrement grec qui promenait le mort à visage découvert et, guidée par Cocona Ellenco, j’allais boire l’eau miraculeuse d’une source de la Sainte-Vierge.

En rentrant au Palais, je me glissais dans la chambre du mollah pour attendre l’heure du muezzin. Comme il était beau, le prêtre