Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/417

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chanteur avec son turban de mousseline des Indes blanc comme la neige des montagnes ! C’était un arabe du Hedjaz, un sang pur. En le voyant passer à travers les grillages, les femmes pâlissaient d’émotion, elles entrouvraient les lèvres pour se nourrir de lui ; son image imprégnait leurs âmes. Quand, enveloppé de son intari de lin blanc et d’un caftan de drap noir, il s’avançait sur le quai du Palais en chantant Allah u Ekber, et appelant les fidèles à la prière, un silence uni et doux se faisait dans le petit golfe, car musulmans et chrétiens étaient frissonnants à l’appel de cette voix dont la douceur et le charme caressant surpassaient toutes les musiques du monde. Le prince lui-même oubliait ses préoccupations et l’écoutait avec ravissement, disant à ceux qui l’entouraient que si la célèbre Patti eût entendu Mollah Izzedin, elle eût compris ce qu’était la voix humaine et n’eût plus osé une seule roulade.

Comme j’étais en grande amitié avec le ministre de la guerre et son harem, je revins un jour de chez lui avec une petite carabine et je demandai au prince de me faire apprendre à tirer. Il m’envoya sur le haut de la montagne voisine sous la conduite d’un aïvasse et de deux eunuques. Là je trouvai Demir-Aga-Couroudje, le gardien de la propriété, assis sur un tapis. Demir-Aga était un héros très brave qui avait livré maintes batailles ; il avait été un chef de brigands très redouté et portait dans ses mollets plusieurs balles et sur sa figure de grandes balafres.

Démir-Aga avait une grande noblesse dans les manières et contait d’interminables histoires que son père, qui était né grec, tenait de son grand-père.

Il était devenu musulman dès sa jeunesse et n’avait gardé du bandit grec que l’habitude d’enlever les bourses des passants. Mais depuis qu’il était au service du prince Halim il ne songeait plus qu’à garder la propriété au lieu de l’attaquer.

Pour arriver jusqu’à lui, il avait fallu suivre un long chemin bordé de cyprès séculaires et les eunuques avaient eu grand peur :

— Ela Hanem,mon agneau ! disaient-ils en tremblant, si cet ancien brigand se mettait en colère, que deviendrions-nous ?

— Je n’ai point peur, mes lions, leur disais-je, il nous recevra bien.

En effet, il recommanda avec dignité aux eunuques de dire au prince qu’il se chargeait de veiller sur l’enfant qu’il lui envoyait,

— Bâché ustuné, sur ma tête, je réponds d’elle, donnez-moi son paquet, leur dit-il.

Ils étaient cependant peu rassurés et s’empressèrent de redescendre la montagne après lui avoir fait de nombreux et profonds saluts.

— Ma fille, me dit le vieux héros en me regardant de son œil d’aigle, tes cheveux sont des fils d’or pur et tes yeux du plus beau velours de Damas.

Je m’assis près de lui sur le tapis où étaient étalés symétriquement