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Terre Promise  [1]
cinquième partie
JUSTICE
I

Voici l’heure venue où la Justice se dresse. Homme, rappelle tes actes. Assassin, pèse ton crime. Responsable ! de ce que tu as fait tu vas répondre…

Accusé. — Responsable…

Peut-être, oui… Que l’Océan où s’est englouti le navire accuse la dernière vague qui l’a fait chavirer. Force aveugle, vague de la mer, qui, à son tour de soulèvement, mugit, écume, puis retombe, s’abîme, confondue dans la mer… Cause de désastre, de mort… Il se peut, on ne sait. Le vent, la nuit, l’orage, l’océan, ont-ils une conscience ? Qu’ils répondent.

L’accusé… — Quoi ! Un seul !

Mais la faim, et l’ennui, la misère : les complices ? — Où sont-ils ? La pensée et le bras et la main elle-même se sont enfuis, et c’est le couteau laissé dans la plaie qu’on accuse !

À moins, peut-être que toi, tu viennes les juger tous, toi l’assassin, eux tous, cette foule et ces juges, et ce Christ peint au mur, ces gendarmes près de toi, ces soldats à la porte, et les passants, dehors, — tous venant répondre du meurtre commis ensemble, tous, à la barre du même côté, — comparaissant…

— La Cour, Messieurs, levez-vous et découvrez-vous.

Regarde bien. Voici la Justice qui s’avance.

De la Justice. Tu n’en avais jamais vu ?

Sur ces sièges, dans ces costumes de mascarade — les belles robes rouges ! on s’est fait beau en ton honneur ! car ce n’est plus tous les jours qu’on a le droit de tuer… — la Justice parait devant les malheureux.

Justice ! Justice ! Toi enfin ! Pourquoi si tard ?

Du fond de ma misère, je t’appelais. Où étais-tu ? Je criais : Justice ! Justice, comme on appelle un Dieu… Je croyais bien qu’un jour tu descendrais du ciel. O Justice ! Ma voix a monté jusqu’à toi…

Te voici…

— Il fallait t’écarter du chemin que suivent les hommes. Tu la

  1. Voir La revue blanche depuis le 15 août 1897.