Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/447

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Vaincu, emprisonné. Rage, lutte… inutile ! Tout de même, quelle qu’elle soit, la grâce ferait du bien. Ce serait doux, le bagne futur, au sortir de la prison…

Le bagne ne viendra pas. Il n’est pas de délivrance. Il n’y a que la mort. Elle est là, elle, vient. Inutile, aussi vaine que la rage, — la mort. Au moins on avait pensé qu’à d’autres elle servirait ! Non.

Oh ! si le corps du moins avait son content de place ! Se remuer, user de sa rage dans des mouvements, la frotter de vent, la froidir d’air, l’humecter de pluie !… Ou si l’on pouvait boire, oublier… Non.

C’est ici moins grand que chez toi… Es-tu bien sûr ? Si tu mesurais ? Tu étais libre. À l’atelier !… Es-tu bien sûr ? Mangeais-tu mieux, couchais-tu mieux ? Libre, dis-tu ? Les cloisons sociales n’avaient guère d’écart ; si tu sortais, la faim, geôlier, montait la garde… As-tu cru t’échapper ? La prison. Désespère ! Tu ne peux plus rien. Que pouvais-tu ? Tu te plains. Tu te plaignais. Tu pensais, penses-tu… Maintenant que fais-tu d’autre ? Cela ne sert à rien. Quand cela servit-il à quelque chose ? Et quand la vie fut-elle moins murée par la mort ?

C’est l’illusion que tu regrettes !

Que parlais-tu de dissiper celle des autres ?

Toi, toujours toi ! L’autorité que tu hais et qui pèse sur toi, contrainte, haine, châtiment, tu l’aurais écroulée de toutes les hauteurs sociales avant de l’extirper de ton cœur où elle plonge… Prêtre qui voulus par le fer et le sang forcer à la Religion neuve, rédempteur par la terreur, c’est peu qu’une juste mort vienne à temps nous sauver de ton inquisition, il serait trop beau encore que toi, tu ne doutes pas !

Monde futur, monde d’autre monde, promesses à bon marché, tout ce que tu as promis… on n’y croit pas, et tu n’y croiras pas toi-même. Sur cette terre-ci, qu’importe, ou sur l’autre, c’est de même, — on ne passe pas ; il y a la mort entre, la mort qui barre la route, muraille forte et têtue, — et tu t’y vas cogner.


— Songez à Dieu, mon fils. Préparez-vous à la mort.

— J’y suis prêt. C’est à la vie que je n’étais pas prêt !


Religions d’un jour, fumée de bivouac que laisse l’humanité qui marche… Oh ! que de cendres ! On s’est chauffé une nuit, c’est tout. À d’autres camps, à d’autres flammes. Rêves d’un jour ! Terre promise ! Cela prépare à la mort mais non pas la vie !

Dieu, c’était notre orgueil figé par devant nous. Mais le temps nous a enseigné l’humilité.

Dupe que tu es, meurs. Mais ai-je cru ? Comme j’ai agi : en semblant. Pas un acte qui serve, pas un dogme, qu’on croie ! Si j’avais seulement eu ma franche duperie ! L’illusion à pleins bords !

Non. Petites gorgées ! et mourir presque à jeun. Pas la consolation d’être un exalté. Martyr. Mais non, on n’y croit plus, ils sont trop,