Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/448

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maintenant, tout le monde voudrait l’être. Martyr sans effet. Un homme va mourir, cela est tous les jours. Désespoir ! Immense désespoir… non, pas immense, et d’autant plus douloureux qu’il est plus petit, tout petit, pas plus grand que toi-même, qui tiens en cette prison. Les Barbares ne déborderont pas sur la planète, la vieille société n’en sera pas rajeunie ; — le sang est une semence !… — plus maintenant, c’est du sang tout bonnement. L’humanité ne se va pas régénérer. Elle continue. Tu trouves la vie mauvaise, d’autres bonne, d’accord ! Toi, cesse, eux poursuivent… Messie ! Libérateur ! Libère-nous de toi.

Il se débat, il ne veut pas… Fanatique ! — Lâche donc cette pauvre humanité. Tu l’ennuies.

Se débattre ! Orgueil d’insecte qui agite ses pattes dans l’eau.

Alors ne plus même croire à ce pour quoi l’on meurt ?… O pauvre homme crédule, plein d’illusion que tu es, toi qui te donnes encore la peine de réfléchir…

Résigne-toi, Meurs.

Se résigner — dernière limite de la foi — est-ce être assez au fond de l’incrédulité ?

Encore la dernière heure, au théâtre de l’échafaud, un peu de comédie vous donnera du courage. On a une attitude ! Mais seul devant les murs de la prison, yeux d’aveugles, seul… — pas même l’attitude, pose qui est un effort, presque une joie, un prétexte de lutte contre le désespoir ! — Rien, à vau-l’eau, inerte, chiffe, attendre la mort, pour dormir.


Au fond de la société, devant les lois, yeux d’aveugles, inerte, Veule, l’homme s’est-il résigné tout à fait ? Il ne pense plus, il joue aux dés, parfois, avec un de ses gardiens, ou à des revues, parfois, avec les ministres de la guerre. A-t-il une attitude ? Il pourrait tout au moins signer un recours en grâce. Non, il ne vote même pas.

Si les Barbares, à défaut de la Révolution…

Non. L’histoire, qu’est-ce qu’elle prouve ! Le soleil qui paraît chaque matin depuis si longtemps, ce n’est pas sûr qu’un jour il ne cesse de luire. La révolte, les barbares qui sont venus une fois, quelle raison y a-t-il qu’ils reviennent ! Orbite démesuré de comètes… — si grand qu’elles se perdent. L’infini, c’est très grand, on peut ne pas se rencontrer.

Et il n’y a rien, hélas ! et il n’y aura rien.

Il y a eu des révolutions, et les Barbares.

Il y a eu des élections, et des espoirs.

Il y a eu des tyrans, des rêveurs, des arriveurs.

Il y a eu des religions. On adora des bêtes, des hommes, des choses, des esprits, des mots, des drapeaux, des républiques.

Il y a eu les anarchistes.