Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/452

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Oh ! Dieu ! Croyant bien faire, l’entraver à jamais, peut-être je la déchaîne, rien qu’à tuer cet homme ! J’ai peur… Non ! Je n’ai pas peur. Je ne dois pas avoir peur. Est-ce que je risgue quelque chose ? Rien. On veille sur moi. Il y a une police. Vengeance ! Des menaces. Ils parlent de m’assassiner… — mais je n’ai pas peur… seulement je tremble, j’ai froid… Je commets peut-être un acte d’une portée inouïe. Mais je ne commets rien, non ! je laisse commettre. Je ne signe pas… Alors… Ce n’est pas moi qui frappe ! Je ne dis pas qu’on frappe… Mais je n’empêche pas qu’on frappe ! Et on exécutera. Du sang ! Moi, je n’aime pas ça. Et puis… — Non, ils n’oseront pas. — Ah ! je voudrais… Enfin, pourtant, puisqu’il le faut… Oui, dans l’ombre, avant l’aurore, pas sur la place publique, — dans la prison, entre quatre murs… pas de journalistes… On profitera d’un jour de fête, ou d’un lendemain. Paris joyeux, ou bien vanné, est calme. Alors, comme cela… on peut… oui… on osera — faire justice.

Allô ! Allô ! Eh ! bien, tout est prêt ?

— Tout est prêt.

— La police est sur pied ?

— Les brigades renforcées, la troupe consignée…

— Tout est tranquille ?

— Pas l’ombre d’une émeute à craindre.

— Oui… alors… la justice… Mais vous répondez de tout !

— Absolument de tout.

— Comme cela, ma conscience est tranquille. Je signe.

C’est fait. Irrévocable. On va faire justice.

Maintenant tâchons de dormir…

Non ! non on ne dort pas comme cela ; on a la fièvre, on se lève, on tourne, on rôde, et le palais silencieux et menaçant dans la nuit, voit votre ombre qui erre dans les salles vastes et vides, voit votre ombre et la prend pour un spectre, déjà.

Spectre ! Lequel ? Celui de l’homme qui va mourir demain ?

— Mon ami ! Tu ne dors pas ! Tu vas être malade. Écoute ta femme. Tu ne te vois pas, tu maigris. Tu n’es déjà pas fort. Tu es jaune, pâle. Tu souffres. Tu ne le dis pas ! Tu devrais te soigner. Qu’est-ce qui te préoccupe ?

— Je vais bien. Rassure-toi. Moi, je vais bien, oui…

— Est-ce que quelqu’un t’ennuie ?

— Il ne m’ennuiera plus.

— Un de tes amis, malade…

— Non, pas de mes amis…

— Aurais-tu quelque chose sur la conscience…

— Quelle heure est-il…

— Mon Dieu ! Je sais ! C’est l’assassin… Tu as…

— J’ai signé.

— Tu n’as pas fait grâce !

— On m’aurait traité de lâche.

— Ils se vengeront ! ils te tueront, ô malheureux !