Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/67

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Mauvais ! Toutes les idées que tu agites en toi pour secouer la torpeur où gît l’humanité, se heurtent aux hommes même, mauvais, ambitieux. Monde ailleurs ! Monde meilleur ! — Mais ils recommenceront de même !

Haine et envie ! Pourquoi dure-t-elle, la société ? Quelle force la soutient, défaillante de misère ?

La haine, la haine seule, qui fait qu’on endure tout. La faim, toutes les faims, le labeur forcené, inquiet, menacé sans cesse… Qu’importe ! on en voit d’autres qui souffrent ! et cela est si doux…

Elles vivent nos sociétés, couvées dans cette douceur. On ne s’y trouve pas bien, mais on peut y faire mal… Sociétés que soutient l’insociable, elles subsistent.

Monde futur, monde sans haine, quel homme voudra de toi ?

Rappelle-toi… Jadis des livres ornaient ta chambre. Tu avais lu ceci, quand ton âme, à tâtons, cherchait des sciences sociales qui, des siècles à l’avance, lisent un avenir à on ne sait quelles lignes que dessine la société, comme ces traces sur la main qu’ont laissées des ancêtres, et où les sorciers lisent des choses, quelquefois…

« Il faut que le peuple sente rudement la misère et les résultats de son imprévoyance, pour qu’il règle ses passions et se retienne d’enfanter. »

Il faut… Pour que le vainqueur vive, riche, sans frein, mange, boive, enfante et fasse aux pauvres des lois de prévoyance… Il faut… Car au-dessus des morales et des lois, que tu renies et contre lesquelles tu te révoltes, il y a le droit, à toute origine de tout, — du plus fort. — Toi, le faible.

Pauvre qui t’es permis de l’amour et de la joie, toi qui oses vivre… Cervelle de pauvre… Enfin la science descend en toi. Plus dure que la loi des hommes, qui s’atténue de pitié, que celle de Dieu, toute sucrée de promesses de ciel, elle, vide d’espoir, accable définitivement, prêche la sinistre résignation, que rien ne récompense…

Faible, ne pas vivre.

La science apporte ses flambeaux. Le cachot s’illumine. Regarde ! Pas d’issue. Tu es sûr. Hier, dans l’ombre, on pouvait croire encore…

Non, pas d’issue.

Jacques, petit Jacques… Il y a des riches qui sont bien mis. Ils ont chaud dans de la belle fourrure épaisse. Leurs mamans sont de belles dames vêtues de soie et qui ont des bijoux. On va chez le pâtissier manger plein de friandises… Et les pères en paletot avec des hauts chapeaux sont des messieurs très occupés, qui ont de l’ouvrage…

Il y a le droit du plus fort… Si nous étions le plus fort… Pauvres, ne le sommes-nous donc pas ? La lutte pour la vie ! j’en suis. Défends-toi donc. Toi le plus fort, et moi le faible… Prouve-le. Place à deux sur la terre ou sinon place à moi. Place aux miens, aux plus vivaces, aux plus aptes. Mourir, se résigner et sans lutte s’avouer vaincu…