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Page:La Revue blanche, t15, 1898.djvu/31

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« Je voudrais, m’a dit Barrès, vous faire comprendre dès maintenant ce qui ressortira par la suite.

« Je n’apporte pas une solution, mais une discussion. S’il y a un bénéfice de mon œuvre, c’est qu’elle donnera une vue plus claire de l’état des choses.

« C’est un grand défaut français, normalien et oratoire de vouloir que celui qui pose les données d’un problème fournisse en même temps la solution… »

— En effet, interrompit Goethe, Barrès a raison. C’est un défaut bien français.

— « Et si, dans l’état de la question, il n’y a pas de solution ? — Voilà ce que peut fournir la recherche consciencieuse de la vérité : montrer que dans la donnée du jour, ni Taine, ni Napoléon — ni le traditionalisme, ni le jacobinisme — ne sont une pleine solution. »

Alors ? ai-je dit à Barrès.

« Alors ? m’a-t-il répondu. — Eh bien ! c’est une maladie, mais il y a la vie, demain la guérison, demain peut-être le pire.

« Je sais, a-t-il ajouté, que je prête à l’objection, parce qu’on me sait des préférences politiques. Mais la politique intervient peu dans un livre qui eût été plus artistique si je n’avais eu des préoccupations d’analyse avant tout. »

— Je ne suis pas surpris que Barrès se soit exprimé ainsi, dit Goethe, mais, à mes yeux, le traditionalisme n’est même plus une solution provisoire et incomplète. Ce qui est vrai, c’est que nous sommes dans un moment de l’histoire où la vie est si dure, si injuste, que, par comparaison, tous les états antérieurs peuvent sembler moins détestables. Aussi fortement que l’avenir, le passé pourrait humilier le présent. Je ne doute pas que dans la vie féodale on n’ait été plus sûr, plus tranquille qu’aujourd’hui. Mais chaque siècle a sa tâche dont les autres ne sauraient s’acquitter pour lui. Il est clair que Barrès, dans cette confrontation avec ce qui fut, n’a cherché qu’une lumière plus vive à projeter sur ce qui est. Mais une maladie nouvelle exige de nouveaux remèdes. D’ailleurs, je dois reconnaître que le personnage de Remœrspacher me rassure extrêmement, et surtout la prédilection que Barrès paraît montrer pour ce personnage. Celui-là n’est pas attaché à la tradition par un entêtement conservateur ou par un instinct animal, mais par la raison, par un véritable esprit philosophique.

Nous restâmes tous trois silencieux pendant quelques instants. J’étais heureux de voir Goethe en si bonne disposition, et je me confirmais tout bas dans mon sentiment personnel d’admiration pour l’œuvre de Barrès. Mais Du Coudray, qui semblait soucieux et presque ému, dit tout à coup.

— Pourtant il est doux d’avoir sa terre, sa maison dans son village, et de mourir sous le toit où son père est mort.

— Oui, dit Goethe, j’aimerais aussi mourir dans la maison de mon père, mais je veux vous dire dans quelle pensée. J’aimerais que ma