vie retrouvât ses origines, que ma vieillesse se terminât où s’est écoulée mon enfance, que mon existence s’achevât et vînt rejoindre la vie universelle au même point où elle s’en est détachée. Mais je ne connais pas cette piété familiale qui attache tant d’hommes à une maison. C’est une cause de faiblesse pour l’humanité entière ; c’est le grand obstacle aux changements nécessaires dans l’humanité. Non, je ne puis m’attacher aux formes usées et mortelles de la vie. Ce n’est pas là ce que je veux avoir de commun avec nos pères. Ce que je veux partager avec eux, c’est l’amour de la Vie, de la Vérité et de la Raison. Il faut se mettre en harmonie avec les lois profondes de l’Univers, et non pas avec les préjugés et les habitudes qui en voilent le véritable sens. Il faut chercher ce qui est la vérité de notre caractère et de notre temps, comme nos pères l’ont fait, eux aussi, pour leur temps à eux. Il faut réaliser ce qui est juste dans notre moment de l’humanité. La vérité grandit et s’enrichit d’âge en âge ; mais il faut la recréer nous-mêmes ; nous ne la trouverons pas dans le testament de nos pères toute faite et prête à servir.
C’est pourquoi je préfère mourir ici, dans la patrie que je me suis choisie, dans la maison que j’ai bâtie, au milieu des tableaux et des gravures que j’ai choisis moi-même, et non pas un aïeul plein de goût. Je mourrai fier de n’avoir jamais déposé dans le monde une pensée qui ne fût entièrement la mienne, et une vérité que je n’aie conçue de toute mon âme comme ma vérité. J’ai aimé le passé, j’ai cherché à le connaître et à le comprendre ; mais si la Nature est harmonieuse et régulière, elle veut enrichir toujours ses fins. La Raison ne peut s’arrêter, elle étendra sans cesse son empire, et l’amour sincère de la Justice et de la Raison est le lien véritable, la seule chaîne légitime entre les générations…
Goethe parla longtemps ainsi et nous l’écoutions encore, avec l’émotion que chacun peut comprendre, lorsque son fils et Ottilie entrèrent, et la conversation prit un autre cours.