Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/153

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Catherine remarqua que les regards d’Isabelle allaient sans trêve de l’une à l’autre porte, comme anxieux. Maintes fois accusée de finesse, et si arbitrairement, elle jugea l’occasion bonne de faire ses preuves, et, sur un mode enjoué :

— Ne soyez pas inquiète, Isabelle, James sera bientôt ici.

— Peuh ! ma chère âme, ne me croyez pas si niaise ; je ne désire pas l’avoir toujours à mes trousses. Ce serait affreux d’être toujours ensemble. Nous serions la fable de Bath. Ainsi, vous allez à Northanger ! J’en suis étonnamment contente. D’après ce que j’ai entendu dire, c’est une des plus belles habitations anciennes de l’Angleterre. Je compte bien que vous m’en ferez une description minutieuse.

— C’est vous qui aurez ma meilleure description. Mais qui cherchez-vous des yeux ? Vos sœurs viennent-elles ?

— Je ne cherche personne. Il faut bien que nos yeux se portent sur quelque chose. Et vous savez ma sotte habitude de les fixer sur un point, quand ma pensée en est à cent lieues. Je suis étonnamment distraite. Je crois bien être la créature du monde la plus distraite. Tilney dit que c’est un trait fréquent chez les intelligences d’une certaine trempe.

— Mais… je croyais, Isabelle, que vous aviez quelque chose à me confier.

— Ah ! oui, c’est vrai. Voilà bien un exemple de ce que je disais… Ma pauvre tête !… J’avais complètement oublié. Eh bien ! voici. Je viens de recevoir une lettre de John. Vous en devinez le contenu.

— Non, vraiment.

— Ma douce amie, ne vous donnez donc pas ces airs de ne pas comprendre. De qui parlerait-il ? Vous savez, il est absolument coiffé de vous.

— De moi ! ma chère Isabelle.

— Non, ma chère Catherine, votre affectation est absurde. Modestie et tout cela, c’est très bien quand c’est en situation. Mais il est des moments où de la sincérité ne serait pas mal non plus. Vraiment, vous allez à la pêche aux compliments. Les attentions de John étaient si visibles qu’un enfant les eût remarquées. Une demi-heure encore avant son départ de Bath, vous lui avez donné l’encouragement le plus positif. Il le dit dans sa lettre : il dit qu’il vous a fait une demande en mariage, presque, et que vous avez accueilli ses avances de la façon la plus charmante. Il me prie d’appuyer sa candidature et ajoute toutes sortes d’amabilités à votre adresse. Inutile, dans ces conditions, d’affecter l’ignorance.

Catherine, avec tout le feu de la vérité, exprima son étonnement de voir Isabelle investie d’une telle mission. Elle ne se doutait nullement que M. Thorpe fût épris d’elle, et, par conséquent, n’avait jamais eu souci de l’encourager.

— Je déclare sur mon honneur, n’avoir rien remarqué de ses attentions, sauf l’invitation qu’il me fit de danser avec lui, le jour de son arrivée. Quant à une demande en mariage ou quelque chose