Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/69

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tant que la réponse de votre père ne sera pas connue. Morland dit que, si sa lettre part de Salisbury ce soir même, nous aurons la réponse demain. Demain ! Je n’aurai jamais le courage d’ouvrir sa lettre. Ce sera mon arrêt de mort, je le sens.

Suivit un temps de rêverie, Puis Isabelle parla, et ce fut pour disserter sur l’étoffe dont serait faite sa robe nuptiale. Cette conférence prit fin quand le jeune amant vint, sur le point de partir pour le Wiltshire, exhaler son soupir d’adieu.

Catherine aurait bien voulu le féliciter, mais toute son éloquence s’était réfugiée dans ses yeux. James facilement comprit. Impatient d’être chez lui et de voir ses espérances fleurir, il fit de rapides adieux. Ils auraient été plus brefs encore, si sa jolie promise ne l’avait plusieurs fois retenu par sa prolixe insistance à l’engager à partir. Deux fois déjà il avait atteint la porte ; deux fois elle le fit revenir, impatiente qu’il fût en route.

— En vérité, Morland, il faut que je vous chasse. Vous allez loin, pensez-y. Je ne puis supporter de vous voir vous attarder de la sorte. Pour l’amour du ciel, ne musez pas plus longtemps. Voyons, allez, allez, je le veux.

Les deux amies ne se séparèrent pas de toute la journée, et les heures s’écoulèrent en projets de bonheur fraternel.

Mme  Thorpe et son fils, qui étaient au courant de tout et semblaient n’attendre que le consentement de M. Morland pour donner carrière à leur joie, furent provoqués par Isabelle à ce jeu des paroles à sous-entendus et des coups d’œil complices qui devait exaspérer la curiosité des jeunes sœurs. Ces façons paraissaient peu généreuses et malséantes à Catherine, qui n’eût pu s’empêcher d’en faire la remarque, si, dans ce milieu, elles n’eussent été coutumières ; d’ailleurs Anne et Maria calmèrent bientôt ses scrupules par la sagacité de leur : « Nous savons, nous savons… » Et ce fut toute la soirée des passes d’esprit, où les adversaires se montrèrent également virtuoses, et des manœuvres en vue de sauvegarder, ici, le mystère d’un prétendu secret et, là, celui d’une découverte que l’on ne définissait pas.

Catherine passa la journée du lendemain avec son amie, pour la soutenir au cours des longues heures qui devaient s’écouler avant la distribution des lettres, — aide nécessaire, car, tandis que ces heures diminuaient, le trouble d’Isabelle allait croissant : elle était laborieusement parvenue à une détresse authentique quand enfin la lettre arriva.

« Je n’ai eu aucune difficulté d’obtenir le consentement de mes bons parents, et j’ai la promesse que tout ce qui sera en leur pouvoir sera fait pour hâter mon bonheur… »

Telles étaient les trois premières lignes.

Aussitôt tout fut sécurité joyeuse. Un rouge incarnadin teignit instantanément les joues d’Isabelle. Soucis, anxiété semblaient loin ; ses sentiments s’élevèrent si haut qu’ils étaient sur le point d’échapper à