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NOTES POLITIQUES ET SOCIALES
La Ligue de la Patrie française

La Ligue de la Patrie française est provisoirement fondée. D’après le programme officiel, elle se propose de faire cesser l’agitation actuelle et de maintenir les traditions nationales. Il y a là une double équivoque.

L’agitation actuelle, en effet, est entretenue aussi bien par le parti antirévisionniste que par le parti révisionniste, Si les fondateurs de la Ligue avaient estimé, comme M. de Heredia, que tous les Français doivent « dans l’affaire Dreyfus laisser faire la justice », ils auraient fait appel au patriotisme des deux camps pour amener une trêve : ils auraient préparé les esprits pour que tout le monde fût prêt à s’incliner devant la décision de la Cour suprême. Il fallait chercher à apaiser les polémiques de presse, et protester, au nom du droit, contre tout appel à la force. Si les excitations à la haine fanatique, si les menaces de coup d’État avaient cessé, on aurait sans doute obtenu des professeurs qui, depuis quelques mois, président tous les soirs des meetings socialistes et libertaires, qu’ils consentent à prendre des vacances bien gagnées.

Mais ce n’est pas de ce côté que les ligueurs font porter leurs efforts : M. François Coppée considère que l’affaire est sans issue désormais « puisque l’innocence de Dreyfus aura été obtenue à coups de millions ». M. Barrès parle de « l’élaboration obscure d’une vérité suspecte » et ne blâme pas les adhérents qui estiment que l’affaire Dreyfus « devait être réservée à l’autorité gouvernementale ». Le comité d’initiative a décidé d’exclure tous ceux qui ont signé les protestations en faveur de Dreyfus ou de Picquart, et, sans doute, pour que l’exemple soit plus significatif, il fait connaître sa décision à propos de l’adhésion de M. Hervé de Kérohant. Pour plus de précision, pour mieux montrer qu’on voulait se placer au-dessus de l’affaire Dreyfus, on admettait tous ceux qui avaient souscrit pour honorer la mémoire du colonel Henry, et on se déclarait plus particulièrement heureux de l’approbation du clairvoyant M. Cavaignac et du chevaleresque M. Déroulède.

En réalité, aussitôt que la Ligue s’est affirmée publiquement, il a été manifeste que les professeurs du collège Stanislas et les cléricaux de race ou de circonstance qui forment la majorité à l’Académie française avaient voulu opposer aux intellectuels, champions du droit, la milice lettrée de la Contre-Révision. Il est donc évident que les signatures des adhérents qui souhaitent l’apaisement et respectent la jus-