Page:La Revue blanche, t18, 1899.djvu/385

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Affaires étrangères le scandale fut excessif ; les camelots payés pour figurer le peuple de Paris s’amusèrent trop à ce carnaval nouveau. Tout le monde comprit ; les républicains du Sénat et de la Chambre, qui avaient fait l’élection présidentielle, demandèrent des comptes au Président du Conseil.

Alors M. Dupuy, qui a une longue habitude, recourut au second moyen. Vous n’ignorez pas qu’il y a deux moyens de perdre un président : le premier est de ne pas le garder, le deuxième est de le garder trop : non seulement chacun de ces deux moyens est bon, mais le deuxième est justement complémentaire du premier : quand on a épuisé le premier, le second se présente naturellement comme une réparation nécessaire.

Aussi, dès le mercredi suivant, les agences nous communiquèrent-elles soigneusement la liste extraordinaire des précautions minutieuses prises pour assurer le lendemain, non seulement la sécurité, mais aussi la dignité de tous ceux qui défileraient dans le cortège.

Par un clair soleil de printemps un peu frais, le cortège passa ; et tout de suite on eut l’impression que les précautions prises étaient parfaitement inutiles ; tout Le monde était là, le vrai peuple, joyeux du beau temps, joyeux de la fête, joyeux du cortège, du spectacle ; ce fut un beau jour de promenade, et d’amusement honnête, une mi-carême plus franche, moins apprêtée, plus ouvrière, moins banalement et bêtement bourgeoise. On était profondément heureux et assez convenable ; on ne se battait pour voir. Et on eut la preuve que les manifestations précédentes avaient été organisées, payées, tolérées, encouragées.

Les grandes cérémonies militaires ne sont pas autant qu’on le croit favorables aux grands chefs, car, tout ployés qu’ils soient sous le faix des dorures, ils font presque tous piteuse mine auprès de leurs hommes : la foule, qui s’y connaît, regardait curieusement le général Zurlinden ; mais elle regardait avec admiration les simples cuirassiers de l’escorte ; et puis elle sentait vaguement que tous ces grands messieurs n’étaient pas au-dessus d’elle, puisqu’ils défilaient devant elle, puisqu’ils donnaient devant elle et pour elle une représentation. Enfin la foule trouvait que M. Loubet avait l’air bon garçon : tout est là.

Sur le tard M. Déroulède eut l’idée invraisemblable d’emmener à l’Élysée deux régiments d’infanterie qui étaient sur pied depuis le petit jour ; notez que ces deux régiments rentraient à Reuilly, au casernement, que les hommes n’attendaient que le moment de rentrer à la chambrée pour jeter le sac sur le paquetage, manger la soupe du soir, et aller faire un tour en ville, puisque c’était jour de fête. L’idée d’aller monter la garde à l’Élysée ne leur sourit sans doute point, car on me dit que les ligueurs malencontreux reçurent quelques coups de crosse. Le général Roget, qui commandait la brigade, fit comme ses hommes

On a conduit au Dépôt M. Déroulède, M. Marcel Habert,