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Notes
politiques et sociales
L’OPINION PUBLIQUE

Nous nous sommes demandé la dernière fois ce que c’est que cette « opinion publique » devant laquelle M. Charles Dupuy a contribué à faire évoquer définitivement l’affaire Dreyfus.

Tous les partis se réclament de l’opinion publique ; nous, à qui elle fut si longtemps défavorable, quelle fonction, quelle valeur, quelle autorité lui reconnaissons-nous ?

L’opinion publique est-elle constituée pour nous par l’ensemble du corps électoral agissant politiquement ? Non, car le corps électoral, considéré en son ensemble, peut faire l’injustice comme un individu ; le corps électoral peut avoir des passions, des intérêts, des faveurs, des haines, des vices, des maladies comme un individu ; le corps électoral peut faire l’injustice et dire le mensonge, il peut devenir la dupe ou le complice de l’injustice et du mensonge.

Le corps électoral étant faillible, aucun des organes légalement institués pour exprimer son désir ou sa volonté ne nous semble infaillible ; ni les organes parlementaires, le Sénat ou la Chambre des députés, ni le Gouvernement, ni les organes judiciaires, professionnels ou non, les tribunaux de métier, civils ou militaires, le jury enfin ne nous semblent infaillibles.

Et non plus les organes plus ou moins spontanément constitués pour exprimer le désir ou la volonté de ce corps électoral, ni les manifestations de la rue, ni les manifestations de la presse ne nous semblent infaillibles.

Nous ne commettrons donc pas cette inconséquence de nous en prendre à l’opinion publique, comme ayant par elle-même une valeur mauvaise quand elle nous est contraire, et de nous référer à l’opinion publique, comme ayant par elle-même une valeur, quand elle nous est devenue favorable ; nous ne dirons pas avec un ancien rhéteur bourgeois qu’il y a le peuple et la foule, que le peuple est en haut et la foule est en bas ; nous ne commettrons pas cette inconséquence de déclarer que nous avions évidemment raison puisque nous étions communément condamnés par les tribunaux petits, moyens et grands, puisqu’un jury de bourgeois condamnait honteusement Émile Zola, et qu’à présent nous avons non moins évidemment raison puisqu’un Iribunal suprême nous a rendu justice, puisqu’un jury de citoyens a cordialement acquitté Urbain Gohier et son éditeur, et en leurs personnes la presse révisionuiste, particulièrement l’Aurore et cette Revue blanche.

Nous ne commettrons pas cette inconséquence ; nous ne nommerons