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NOTES POLITIQUES ET SOCIALES
Flétrissures

La Chambre a prétendu, par son ordre du jour du 16 décembre, flétrir les actes de candidature officielle. Il est certain que l’enquête parlementaire sur l’élection de Narbonne a révélé des détails caractéristiques, qui permettent d’étudier sur un exemple la manière de préparer les bonnes élections et de réparer les mauvaises. Mais si la Chambre a cru donner à son ordre du jour, selon la phrase de M. Viviani, « la force souveraine d’une condamnation morale », elle s’est gravement trompée.

D’abord il est trop évident que cette « indignation vertueuse » n’est que l’indignation hypocrite et intéressée d’un parti politique. Les députés radicaux se révoltent à l’idée de la candidature officielle exercée au profit des modérés ; mais, à la fin de chaque législature, ils intriguent pour qu’il y ait, à l’intérieur, un ministre radical. Un des grands reproches qu’on continue d’adresser à M. Brisson, c’est d’avoir en 1885 respecté le suffrage universel, au risque de laisser ses adversaires entrer en majorité à la Chambre. Ni M. Viviani, ni M. Dujardin-Baumetz n’ont, jusqu’à ce jour, adressé d’interpellation rétrospective au gouvernement radical qui versa 5,000 fr. dans une caisse particulière, en vue de l’élection d’un candidat socialiste.

En second lieu, il est manifeste que le vote du 16 décembre n’a pas été seulement un vote de parti, mais encore un vote de rancune personnelle. Tous les adversaires de M. Barthou ont crié bien haut que, dans tous les arrondissements, on avait vu la même comédie qu’à Narbonne ; or, au 16 décembre, toutes les élections avaient été examinées sauf deux, et la Chambre n’avait encore prononcé aucune invalidation pour faits de pression officielle. M. Dupuy ignorait-il qu’à Roubaix, l’administration a combattu M. Jules Guesde ? Et n’est-il pas venu à l’idée de M. Viviani que le préfet du Tarn n’avait peut-être pas gardé, vis-à-vis du marquis de Solages, la stricte impartialité que lui dictait son devoir ? Toujours est-il que M. Dupuy n’a pas demandé à la Chambre d’invalider M. Motte, et M. Viviani n’a pas encore trouvé l’occasion de rappeler à la Chambre Le nom de Jaurès. Il est clair que M. Dupuy a saisi l’occasion que lui offrait l’élection de Narbonne pour se venger de M. Barthou qui lui a déjà joué plus d’un méchant tour ; il est clair que les antisémites ont vu dans le discours de M. Viviani comme une revanche du discours de M. Poincaré, que la Ligue des droits de l’homme venait de faire afficher.