Page:La Revue blanche, t18, 1899.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Viviani est toujours véhément, quand, prétendant parler au nom des socialistes, il peut, en même temps, ne pas déplaire aux antisémites. Il a proposé un jour d’amnistier les bandits antijuifs d’Alger ; il n’a pas protesté quand un de ses collègues demanda qu’on laissât « Zola à l’égout ». Il a prononcé avant les élections un discours virulent contre la magistrature civile, dont les nationalistes demandent aujourd’hui un second affichage ; on attend encore son réquisitoire contre les conseils de guerre.

Il est regrettable que M. Barthou n’ait pas eu l’audace qu’eut jadis, dans une occasion analogue, M. Rouvier. M. Barthou n’avait qu’à dire à ses collègues : « Vous voulez des élections pures, selon l’innocente expression de M. Dupuy ; mais vous savez bien que, si les élections avaient été pures, aucun de vous ne serait ici. » Il est vraiment étrange qu’une Chambre, élue au prix de tant de mensonges, de lâchetés et de corruptions, se croie le droit de condamner un procédé électoral. Il faut une certaine audace à M. Viviani pour dire que, dans la campagne du printemps dernier, tous ont, « sur le champ de bataille élargi, lutté idées contre idées, doctrine contre doctrine, drapeau contre drapeau ». La vérité est qu’on s’est débattu dans l’injure et l’équivoque. M. Viviani a-t-il oublié la liste des candidats officiels de l’Intransigeant ? Les électeurs de la Sorbonne se rappellent encore que, pour leur député comme pour M. Méline, il n’y avait pas, au moment des élections, d’affaire Dreyfus.

Dans ces derniers temps, il est vrai, M. Viviani s’est nettement rallié au parti révisionniste. Il a approuvé les paroles de M. Brisson quand l’ancien président du Conseil demanda que le dossier secret fût communiqué à la Cour de cassation et à la défense. Mais l’« indignation vertueuse » de ceux qui condamnaient avec lui M. Barthou se traduisait cette fois, selon l’expression même du président de la Chambre, par des cris qui n’avaient rien d’humain. Le gouvernement et la majorité donnaient satisfaction à M. Lazies contre M. Brisson, et applaudissaient cette nouvelle déclaration de M. Cavaignac, que nous ne sommes pas maîtres chez nous de traiter nos affaires comme nous l’entendons.

La question du dossier secret est pourtant bien simple : si le gouvernement estime qu’il y a danger pour la sûreté de l’État à ce que certaines pièces soient divulguées, il peut demander le huis-clos. M. Brisson trouve même que ce n’est pas nécessaire ; et il est bien probable qu’avec de légères précautions, on pourrait s’en passer, ce qui vaudrait mieux à tous égards. En tous cas, il est inadmissible qu’on affecte des airs tragiques à l’idée que La Cour de cassation et la défense pourront prendre connaissance de pièces déjà connues d’une trentaine de ministres et d’officiers. Dreyfus, à le supposer coupable, est dorénavant inoffensif ; Me Mornard et Mme Dreyfus présentent autant de garanties qu’un député ou un capitaine. Toute la confusion dans cette affaire est venue de ce qu’on accordait plus d’autorité à la parole d’un officier qu’à celle d’un citoyen. Au Sénat, quand