Page:La Revue blanche, t19, 1899.djvu/145

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faibles, comme le fait M. Mirman, qui n’est pas un peu fou, à moins de se complaire à donner des phénomènes historiques les plus importants une justification inexacte, on est forcé de reconnaître, et on doit reconnaître que l’affaire Dreyfus a été une cause occasionnelle morale extraordinaire ; dans le privé nous lui devons la saine souffrance d’avoir été abandonnes par quelques-uns qui se disaient nos amis, nous lui devons la saine et jeune joie d’avoir découvert plusieurs amis nouveaux ; dans le public, elle a été malheureusement une exceptionnelle occasion de faillir proposée aux criminels, aux violents, aux simples lâches, mais elle a été aussi une exceptionnelle occasion de se retrouver offerte à des hommes de même famille intellectuelle et morale égarés par la vie confuse dans les différents partis anciens.

Ainsi la Ligue des droits de l’homme, comme on la nommait brièvement, avait une existence moralement naturelle et volontairement forte. La Ligue pour la patrie française n’avait aucune existence bien sérieuse, étant un jeu d’académiciens fourbus et vaniteux ; elle ne fut vraiment inquiétante qu’aussi longtemps que de sincères et honnêtes universitaires crurent sur parole les fondateurs de cette ligue. Et nous en étions inquiets pour ces universitaires eux-mêmes.

Le tribunal correctionnel, en infligeant le même traitement à la Ligue des droits de l’homme et à la Ligue de la patrie française, voulait, sans doute, lui aussi, les appareiller. On s’apercevrait vite, si, contre notre attente légitime, la Cour de Cassation ne faisait pas son office, combien cette assimilation est mal fondée : La Ligue de la patrie française, désagrégée de ses derniers éléments honnêtes par l’Appel à l’Union, continuerait à organiser des vanités ; et nous, au contraire, nous épuiserions l’action légale, et ensuite la plupart de nous, sans doute, épuiseraient l’action révolutionnaire ; et ce serait vraiment le commencement de l’affaire Dreyfus.

Charles Péguy
À PROPOS DE LA CONFÉRENCE DE LA HAYE

En ces très courtes notes, nous voudrions émettre quelques réflexions à propos de la Conférence de La Haye. Non pas que nous entendions célébrer, une fois de plus, ce grand événement, en analyser les facteurs divers, — discuter par avance, les chances d’échec de ce Congrès diplomatique. Nous nous proposons seulement de commenter un certain nombre d’incidents intervenus depuis le rescrit de Nicolas II, en les rapprochant de la pensée pacifique qui préside à la convocation des délégués des États.

Il est évident que dans les huit derniers mois la situation internationale a traversé une période de tension extrêmement grave. Coup sur coup, le conflit de Fachoda, portant la guerre imminente, s’est dressé entre la France et l’Angleterre ; les convoitises respectives de la Russie et de la Grande-Bretagne sur la Chine ont suscité des diffi-