Page:La Revue blanche, t19, 1899.djvu/215

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tinuaient, il faudrait six mois pour réorganiser les services ; on aurait beau donner de l’avancement aux facteurs qui trahiraient leurs camarades, — ce qui est dangereux, pour le dire en passant, car il importe à la sécurité personnelle future des bourgeois pendant la Révolution sociale qu’ils n’aient pas jusqu’à cette Révolution surexcité les mauvais instincts de trahison, de délation, d’avancement vil, — on aurait beau donner des primes à la trahison : il faudrait six mois ; on aurait beau utiliser les troupes : il faudrait six mois, — et ceci serait une grave imprudence, car c’est ici l’enseignement efficace de la grève générale.

Toute une après-midi des soldats en petite tenue se sont promenés dans les rues : ils étaient accompagnés d’un sergent de ville, et on ne savait pas lequel des deux était là pour protéger l’autre ; en réalité l’agent montrait son chemin au soldat, qui l’ignorait parfaitement : mais ils étaient deux pour faire le travail d’un seul, et cela, dans le peuple, a paru empoté ; surtout on a vu à quoi servaient les soldats, qui sont censés avoir besoin de trois ans pour savoir leur service militaire : quand on aura successivement remplacé par des soldats les allumeurs de becs de gaz, les balayeurs et les marchands de journaux, on comprendra mieux encore ; et l’idée viendra d’elle-même que si tous les corps de métier cessaient en même temps le travail, M. Dupuy n’aurait pas assez de soldats. Je ne parle pas de l’hypothèse où les soldats refuseraient ces services non militaires, où, commandés pour être facteurs, ils deviendraient grévistes facteurs. M. Dupuy n’a-t-il pas peur qu’ils n’apprennent justement ainsi à devenir grévistes soldats.

Charles Péguy
LA SITUATION EN ITALIE

Le général Pelloux a quitté la présidence du Conseil ; le général Pelloux, avec quelques hommes nouveaux, a repris la Présidence du Conseil. La Chambre italienne n’a pas été consultée et le cabinet défunt n’avait même pas été mis en minorité sur un scrutin de détail. Il est parti, parce que le roi Humbert avait jugé opportun de lui donner un successeur, et il a été renvoyé avant tout vote des représentants, parce que le roi Humbert ne voulait pas subir une indication des députés. Cette substitution brutale, de par un simple choix du souverain, peut choquer les observateurs rigides et les défenseurs méticuleux du régime parlementaire — mais ils auraient grand tort : d’abord il y a de nombreux précédents qui remontent à Rudini, à Crispi, voire même à leurs prédécesseurs ; ensuite l’Italie n’est pas un pays parlementaire.

Le parlementarisme, pour être sincère et loyal, suppose une opinion à peu près libre, une presse maîtresse d’elle-même, d’autres conditions encore — qui font totalement défaut dans la Péninsule. Depuis un certain nombre d’années, Humbert a restauré pratiquement l’absolutisme ; depuis l’insurrection de Milan, il a établi Le système de l’op-