Page:La Revue blanche, t2, 1892.djvu/216

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Jésus de Nazareth, l’évangile vivant de l’amour, ce sauveur des pauvres, des malades et des pécheurs, qui leur portait la félicité et la victoire, n’était-il pas l’entraînement le plus terrible, le plus irrésistible vers le retour à la morale judaïque ?

Il fallait une séduction pour que l’esclave remportât la victoire et triomphât de tout idéal aristocratique et noble, pour qu’un si violent revirement se produisit. Magie noire d’une politique de vengeance véritablement grande, d’une politique prévoyante, travaillant souterrainement, Israël a dû renier son véritable instrument de représaille, le mettre en croix, afin que le monde entier mordit à cette amorce. Rome, le symbole de l’aristocratie a succombé !

L’humanité apprivoisée s’incline devant trois Juifs et une Juive : devant Jésus de Nazareth, le pêcheur Pierre, le tisserand Paul, et la mère du susdit Jésus, nommée Marie. Elle s’incline devant cette religion avant tout plébéienne, qui, par l’artifice de l’amour attire à elle les malheureux, par celui de l’enfer, les lâches ; devant cette morale de l’altruisme qui a changé en vertus toutes les insuffisances du faible et de l’opprimé, stigmatisé l’homme heureux et fort et qui fait enfin dériver toutes ses lois d’un principe contradictoire, — car pourquoi prônons-nous l’abnégation d’autrui si ce n’est parce qu’elle nous est avantageuse à nous-mêmes ?

Mais l’instinct suprême de la vie, l’instinct de l’action et de la puissance refoulé, s’est terriblement vengé à son tour. Emprisonné dans la régularité étroite des mœurs adoucies, l’homme (le fauve) a commencé à se déchirer lui-même aux barreaux de sa cage. Il s’est inventé la plus grave des maladies : « la mauvaise conscience ». L’oubli, cet « appareil d’arrêt » sans lequel il n’est ni bonheur, ni espoir, ni gaîté, ni même de présent a été irrémédiablement dérangé dans l’homme. Le christianisme a ajouté à la mauvaise conscience, le péché,