Page:La Revue blanche, t2, 1892.djvu/215

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un hommage rendu à eux-mêmes et à leurs pairs. Ils se jugent eux et toutes leurs actions, first rate ;

Aussi l’opposé du bien (du noble) pour eux est le « vil » et non le mal. Cette notion du vil qui embrasse tout ce qui est au-dessous d’eux, est née plus tard comme un pâle contraste à leur cri de joie et de puissance : « Nous les seigneurs, les puissants, les beaux, les bons ! »

Le genèse de la notion du « bien » est nécessairement différente chez l’esclave. Par instinct il se défiait de tout ce que le seigneur appelle le bien, car, en effet, ce qui pour celui-ci mérite cette dénomination : la fierté, la bravoure, la confiance illimitée en sa force et en sa puissance allant jusqu’à la brutalité est « mauvais » à l’esclave, et par conséquent représente pour lui le « mal ».

Il est naturel que les moutons n’aient pas de goût pour les grands oiseaux de proie. Ils oublient que ce n’est pas la faute du grand oiseau s’il est un oiseau de proie et non pas un mouton. Ils le rendent coupable d’être ce qu’il ne peut pas ne pas être. Et après avoir constaté entre eux que ces oiseaux sont mauvais, ils en ont conclu que celui qui est aussi peu oiseau de proie que possible, mais au contraire un mouton, est bon. Le « bien » ainsi défini ne peut plus signifier que les qualités négatives. Ces deux morales se combattent depuis des milliers d’années. Le plus saillant symbole de leur lutte est Rome contre la Judée, la Judée contre Rome.

C’est par les Juifs, le peuple du ressentiment par excellence qu’a commencé la rébellion des esclaves. Impuissants à secouer le joug de leurs oppresseurs, ils ont inventé contre eux la plus terrible et la plus sûre des vengeances, celle qui s’infiltrant peu à peu a retourné de fond en comble l’idée de la morale : la vengeance intellectuelle.

La tâche historique des juifs a été accomplie par le christianisme. Ironie sublime ! Israël a atteint son but par sa célèbre victime, Jésus de Nazareth.