Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/19

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Si la lieue s’appelle « li » en chinois (avec l’intonation interrogative) et la carpe de même, cela ne parait pas trop extraordinaire ; en français, il y a aussi nombre d’homonymes, comme « cent », « sens », « sent », « sang », « s’en », « sans », et on a vu que l’écriture chinoise distingue les deux notions absolument. Mais est-ce qu’une langue reste compréhensible quand, par exemple, le mot « li » (avec l’intonation très courte et basse) prononcé tout seul laisse à l’auditeur le souci cruel de choisir entre : châtaigne, force, tuile cassée, règlement, délimitation, rester debout, grain, s’emparer, se charger, fonctionnaire, avantage, intérêt, usure, trembler, méchant, élégant, blasphémer ? Une telle langue — parlée — doit rester absolument incompréhensible ; mais pour chacune de ces différentes significations l’écriture a un caractère différent : elle ne symbolise pas la prononciation, mais l’idée.

S’il existe 44 449 caractères différents et s’il existe, d’autre part, dans le dialecte le plus parlé, en utilisant cinq intonations différentes, un maximum de 2 075 syllabes (ou mots) différentes, l’origine et le développement de cette écriture d’une part et de cette langue d’autre part paraissent absolument énigmatiques. Comme je l’ai dit, les langues parlées — je ne visais alors que des langues courantes — ont évité le danger de trop d’homonymes en juxtaposant des monosyllabes et en formant de cette façon virtuellement des mots polysyllabes, des composés. Mais il est évident que pour la langue écrite cet expédient est complètement inutile, même embarrassant, puisqu’il existe beaucoup plus d’idéogrammes (prononcés en une syllabe) qu’il n’en faudrait pour symboliser tous les composés usités dans la langue parlée. La conséquence en était que la langue parlée se développait au fur et à mesure des besoins quotidiens, tandis que la langue écrite — ou plutôt l’ « écriture lue » — dont la connaissance n’était pas plus générale en Chine, il y a mille ans, que la connaissance de l’alphabet en Europe il y a deux cents ans — tandis que cette idéographologie restait invariablement liée aux idéogrammes existants et à leur prononciation traditionnelle.

Arrivé à ce point, il importe de constater enfin le fait extraordi-

    fonctionne comme chef de classe ; elle se répète à droite ; le trait et le point au milieu sont une forme contractée de « couteau » ; caractère purement hiéroglyphique : « couper un bijou et donner les deux parties à différentes personnes », puis « récompenser publiquement » et « faire savoir ».

    Troisième caractère : king, signifie « code, canon » (titre des livres sacrés) ; la partie gauche « soie » est chef de classe ; la partie droite signifie (séparément) « un courant d’eau très tranquille » et se compose du trait supérieur représentant la terre, des trois crochets représentant des « fleuves » et du signe en bas « travail » ; ces fleuves souterrains s’appellent « king » ; et ce sinogramme « king » est mis à côté du chef de classe « soie » ou « tissu » pour signifier « le tissu qui se prononce king », c’est-à-dire primitivement une « pièce d’étoffe sur le métier », puis « ce qui s’étend tranquillement en longueur » puis « ce qui est en ordre » c’est-à-dire « sans irrégularité », donc « sans faute », donc « loi, code, manuel, canon, livre sacré ». Exemple d’un caractère mixte.

    Le sens du titre est clair.