Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/535

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rables petits lionceaux tout jeunes ; c’est comme de gros chats, ça joue, ça se couche si gentiment ! Il y avait le plus petit qui s’est mis sur le dos, les pattes en l’air, et il nous regardait avec des yeux si câlins, le pauvre chéri… Dans un coin, il y avait aussi deux singes, dont l’un ne faisait qu’aller et venir de long en large dans sa cage, il avait des yeux brillants et de véritables petites mains roses avec lesquelles il attrapait les barreaux, et se serrait contre ; il y avait un perroquet et un ara, il avait l’air stupide comme tout, cet ara ! M. Tirebois s’en est approché pour lui faire dire quelque chose, mais il a tourné son dos et est monté le long du perchoir en se dandinant, et en nous regardant de côté, comme s’il riait de nous. Nous avons été nous rasseoir sur nos chaises, et alors nous avons vu que les fauteuils réservés étaient pour des chinois, on disait autour de nous que c’était l’ambassadeur de Chine, toute une famille composée de l’ambassadeur, sa femme, ses deux filles, et de plusieurs autres jeunes gens, tous vêtus à l’européenne ; il n’y avait que l’ambassadeur et trois autres chinois qui portaient le costume ; il y avait un tout petit garçon chinois assis juste devant Germaine, il était coiffé d’un béret bleu et vêtu d’une capote de collégien, il avait des joues énormes et des yeux imperceptibles ; le spectacle ne l’amusait pas du tout, il se tint tout le temps le visage contre le dossier de sa chaise à regarder derrière lui, malgré les protestations du chinois à lunettes placé à son côté et qui lui tenait la main. Les jeunes filles chinoises étaient très gentilles, une surtout, très coquette, lançant des œillades à droite, à gauche : elle avait du rouge sur les lèvres et les joues, les yeux tirés sur les tempes et noirs comme des grains de café. Le spectacle a commencé ; il y avait des ours, des hyènes, des loups, qui ont travaillé avec un dompteur polonais, frisé comme un caniche, et bête comme une oie probablement, car, après chacune des prouesses de ses animaux, il envoyait des baisers aux chinois. Marck (le dompteur mondain, me souffle Germaine) est un jeune homme très décoré, et brillant, il avait des gants blancs, et des moustaches noires frisées très légèrement. Il salua dignement en entrant dans la cage, et fit travailler à la fois deux lionnes, et l’énorme lion qui m’avait tant impressionnée ; il faisait comme s’il était dans le désert, il tirait des coups de revolver, et excitait les bêtes à rugir et à sauter toutes ensemble ; c’était un vacarme épouvantable, et pourtant le petit garçon chinois ne tournait pas la tête, il avait l’air aussi tranquille que si rien ne s’était passé de terrible à deux pas de sa chaise ; il regardait Germaine qui se bouchait les oreilles et fermait les yeux, il la regardait curieusement, et l’air positivement narquois, ce mioche… Pour finir, une jeune femme outrageusement décolletée vint danser, avec des castagnettes, dans la cage, pendant que Marck fixait son gros lion, accroupi dans un coin à côté des trois lionnes réellement abruties par tout ce bruit du diable. La danseuse espagnole faisait les yeux langoureux aux chinois, qui n’en avaient jamais tant vu. je pense : mais elle ne courait aucun risque avec les lions, naturellement, dansant devant