Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/536

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la porte, et derrière le dompteur Marck. Nous sommes sortis à onze heures, très contentes de notre soirée, Germaine et moi. Germaine et son père m’ont accompagnée, et sont montés dans l’appartement où Mère nous attendait, et a proposé de faire du thé ; mais M. Tirebois n’a voulu rien prendre. J’ai raconté les chinois à Père, il ne savait pas si c’était vraiment l’ambassadeur, mais il m’a dit qu’il le demanderait à M. Delcassé.

Vendredi. — Le matin j’ai écrit quelques lettres à mes amies de La Marche ; Justine Benoit m’avait envoyé un long journal de ce qu’elle avait fait dans la quinzaine, j’ai été obligée de lui répondre aussi une fort longue missive ; sans ça elle m’aurait tenu rigueur et aurait dit qu’étant à Paris, je faisais ma fière, et la dédaignais. J’ai écrit aussi aux demoiselles Rodrigues, mais deux pages seulement. Le soir nous avions à dîner M. Gélabert, et son fils Marc qu’on nous présentait. C’est un petit jeune homme court et avec un certain embonpoint ; il avait une superbe cravate rouge, et une épingle représentant un pied de biche. Son père a été fort attentionné pour moi, il m’a fait des compliments sur ma toilette, et sur mes boucles de cheveux. Il avait apporté à Mère une superbe gerbe de chrysanthèmes jaunes, que j’ai placés tout de suite sur la petite table, devant la fenêtre du salon. Pendant le dîner j’étais entre M. Gélabert et son fils, qui me passait à chaque instant la moutarde et les cure-dents, j’avais très envie de rire, naturellement, mais Mère ne me quittait pas des yeux, et m’obligeait à être sérieuse malgré moi ; je me suis bien rattrapée dans ma chambre, par exemple ! On a pris le café dans le salon de maman, et alors on m’a priée de faire un peu de musique. J’ai chanté ma petite mélodie de Chaminade, et mon contre-si a produit son effet habituel ; Monsieur Marc me tournait les pages et, son père nous ayant dit qu’il touchait un peu de piano, nous l’avons forcé à jouer à quatre mains avec maman. Père et M. Gélabert se sont alors retirés dans le cabinet de travail pour causer affaires, et j’ai été plus libre avec maman et le fils Gélabert. Mère ne joue vraiment pas mal, elle a du sentiment même… Ils ont à eux deux fort bien rendu la sérénade de Pierné, puis, sur la demande de M, Marc, j’ai encore chanté une de mes anciennes romances de Massenet. Après avoir fait de la musique, nous avons causé, nous aussi ; ce jeune homme est fort intéressant dans sa conversation, il fait beaucoup de bicyclette et d’escrime. — pour maigrir, a-t-il ajouté en souriant ; nous nous sommes récriées, mère et moi : — Mais vous êtes très bien comme ça, voyons, à votre âge, il vaut mieux être un peu solide, voyez donc votre père à qui vous ressemblez tant, eh bien ! il est magnifique, etc… — Mère était lancée et elle ne s’est arrêtée que pour servir le thé qui refroidissait dans la salle à manger. Nous avons parlé voyages ; il m’a avoué qu’il adorerait visiter l’Afrique, qu’il avait deux camarades de lycée qui y étaient, et qui lui écrivaient des lettres enthousiasmées, qui lui donnaient chaque fois plus