I. Les divisions qui se sont affirmées à une date très récente, dans le parti socialiste français, n’ont pas été épargnées aux partis étrangers. Les discussions qui se sont élevées chez nous entre les indépendants socialistes, d'une part, et les guesdistes et blanquistes, de l’autre, avaient été précédées, hors de nos frontières, par des débats tout aussi violents et parfois de beaucoup antérieurs. Il y a depuis quelques années une crise du socialisme. Les congrès des démocrates socialistes allemands ont servi de théâtre à ces déchirements organiques bien avant que le manifeste de l'été dernier vint proclamer une scission transitoire dans les diverses écoles françaises. Les invectives qui ont été échangées en 1898 à Stuttgard, en 1899 à Hanovre, les polémiques passionnantes et grandioses entre l’aile droite, représentée par Vollmar et Bernstein, et l’aile gauche, dirigée par Bebel et Kautsky, nous avaient déjà appris que le socialisme éprouvait le besoin de se discuter lui-même, de déterminer son action, de choisir entre les voies.
Il est permis de dire aujourd’hui qu’il y a en présence, dans toutes les organisations d’Europe, deux socialismes de tendances divergentes : l’un, évolutionniste, réformiste, assoupli aux faits, séduit peut-être par la vision du pouvoir prochain ; l’autre, révolutionnaire, intransigeant, sectaire dans le large sens du mot, soucieux de la fidélité à la doctrine et de la logique dans l’attitude. Le Congrès de Paris du 3 décembre dernier a voté non l’unité, mais l’union. Tout en ménageant la droite du Parti, il a donné nettement raison à la gauche.
Ce n’est pas en France que nous irons chercher l’expression claire et définitive du socialisme opportuniste. La crise ne s’est pas ouverte chez nous sur la publication d’un livre, sur un reniement ou une atténuation imprimés des théories traditionnelles. Elle a eu pour origine, un acte, l’entrée de Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau, mais nul n’a songé à ériger cet acte en principe, en règle arrêtée pour l’avenir. Au contraire, Jaurès et Viviani, qui ont approuvé la décision de leur ami se sont empressés d’affirmer quelle devait garder un caractère d’exception et que, seules, des circonstances extraordinaires, pouvaient la justifier, et c’est cet aveu même, dont la sincérité est évidente, qui a permis aux mandataires du prolétariat français de se rapprocher au gymnase Voltaire.
Mais la crise qui a concentré durant de longs mois sur la France l’attention des démocraties étrangères s’est précisée, sous des termes autrement décisifs et catégoriques, dans les écrits didactiques des socialistes allemands, belges, hollandais, etc. Il s’est produit ce phénomène singulier que chez nous les principes essentiels du mouve-
