que notre rédacteur en chef, Antonin Canelle, a reçue de notre distingué député, M. Martin-Martin :
J’ouvre le Petit Tambour, et j’y lis le leader-article que vous consacrez à l’étude des douzièmes provisoires. Je n’ai pas besoin de vous dire que je m’associe entièrement aux critiques si pleines de sens que vous faites de ce que vous avez spirituellement dénommé : l’anse du panier gouvernemental, le sou du franc ministériel ! — comme vous, je suis l’ennemi déclaré du système des cotes mal taillées et des demi-mesures, et j’estime qu’un gouvernement qui gouverne devrait être suffisamment fort, suffisamment prévoyant et armé, pour ne point se laisser acculer à des expédients qui ne tranchent rien, à des compromis où il ne saurait y avoir que des dupes… C’est précisément parce que mes convictions sont telles, et pour qu’il n’y ait pas de malentendu, même apparent, entre nous au sujet de cette apparente divergence, que je tiens à vous expliquer en deux mots et vous faire toucher du doigt, dans quel esprit je viens de voter les deux douzièmes provisoires demandés par le Gouvernement, et, je m’empresse d’ajouter, appuyés par la Commission du budget.
Seules les situations exceptionnelles, et vous allez être de mon avis, expliquent et excusent les mesures exceptionnelles ; or, ce qui me parait exceptionnel au premier chef, c’est l’imminente Exposition. Au moment où Paris se couvre de palais, au moment où la France s’apprête pour des hospitalités augustes, j’estime que des soucis budgétaires ne doivent pas apparaître dans nos discussions, et altérer, ne fût-ce qu’un moment, la sérénité qui convient à des hôtes ; je reprends votre image de tout à l’heure, mon cher ami : quand on attend du monde à dîner, il ne faut pas que les invités puissent vous entendre vous plaindre d’être volé par la cuisinière ! Dieu merci, la France est encore assez riche pour demeurer, lorsqu’il s’agit de sa dignité, de son prestige jamais terni auprès des autres nations, pour demeurer, dis-je, au-dessus d’un sacrifice financier, qui, dans l’espèce, ne saurait être d’ailleurs qu’un sacrifice momentané. Il a toujours été de notre crânerie, de notre gloire, à nous autres Français, de nous montrer beaux joueurs, qu’il s’agît d’argent, — ou de sang ! Lorsque le renom chevaleresque du pays est en jeu, sans compter nous dépensons l’un, comme nous avons su verser l’autre Que certains nous traitent de jobards : cette jobarderie-là, c’est l’honneur, c’est le patrimoine glorieux de la France : et il nous reste quand même assez d’or encore pour que nous n’ayons pas besoin d’aller voler celui du Transvaal !
Mes sentiments les plus cordialement dévoués, mon cher Canelle, et, puisque nous sommes à la veille du 1er janvier, mes meilleurs vœux pour vous, pour le Plateau-Central, et pour la France !