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Du Journal de Mademoiselle Martin-Martin.

……Je me suis levée d’assez bonne heure, j’ai tant à faire aujourd’hui ! J’ai vivement déjeuné, je me suis habillée, coiffée (ce qui est le plus long), et j’ai été embrasser papa qui lisait la Localité dans son lit. J’aurais aussi bien fait de me tenir tranquille, car il n’était pas de très bonne humeur ; il m’a fait l’observation que mes cheveux étaient trop lâches, et que j’avais de la poudre de riz sur le nez : pour essayer de le dérider, je me suis frottée contre sa barbe, en l’appelant mon oiseau bleu, mais rien n’a fait, il était réellement de méchante humeur… Je ne sais trop pourquoi, par exemple !

J’ai été alors demander à maman, qui causait à Olympe dans l’antichambre, si on sortait ce matin ; elle m’a répondu que son intention était d’aller seule faire quelques courses pressées. Je n’ai eu garde d’insister, sachant fort bien de quoi il s’agissait ; aux alentours de Noël, mère sort toujours seule un matin, je sais ce que ça veut dire…

Je ne sais trop, par exemple, ce que ma petite maman pourra bien me donner cette fois-ci : d’ordinaire elle tâtait le terrain quelques jours à l’avance, mais cette année, rien du tout, pas d’allusions, pas de sous-entendus. Je voudrais bien pourtant qu’elle eût deviné qu’un peigne en écaille blonde me comblerait de joie, je meurs d’envie d’en avoir un depuis que j’en ai vu porter à Germaine : c’est délicieux avec des cheveux châtain-clair comme sont les miens ; peut-être aura-t-elle vu mon désir, j’ai si souvent complimenté Germaine à ce propos devant mère… et un peu à dessein, même ; aussi ai-je de l’espoir ! Si par hasard c’était autre chose, en bien ! avec l’argent que grand-père va m’envoyer, je m’en offrirai un magnifique, voilà !

De dix heures à onze heures, j’ai été au salon étudier mon chant, consciencieusement même ! Ma voix prend beaucoup de force dans le médium, je trouve ; c’est le médium qui me faisait le plus défaut, au dire de mesdemoiselles Turquet ; eh bien ! si elles m’entendaient à présent, je crois qu’elles seraient satisfaites… Oh ! j’étonnerai mon monde à La Marche, cet été !…

De onze heures à midi, j’ai travaillé à mon napperon russe, dont Germaine m’a demandé le modèle ; j’ai fait tout autour des effiloches de soie lavande et turquoise, ce qui est d’un effet idéal !

Maman n’est rentrée qu’à midi et demi, elle n’a sonné qu’un coup, et Olympe s’est précipitée pour lui ouvrir : je suis restée discrètement dans ma chambre…

Tout de suite après le déjeuner, j’ai été mettre mon chapeau et mon manteau ; puis nous sommes sorties, nous avons pris une voiture à cause du dégel, et nous nous sommes fait conduire au Louvre. Il y avait un monde fou, partout, mais principalement aux jouets exposés dans le grand hall du bas ; c’était un brouhaha fantastique, et une telle cohue que j’ai perdu maman deux fois dans la foule. Nous avons acheté, pour les enfants de M. Gildard, des jouets très jolis, un cinématographe qui marche merveilleusement, et un bébé incassable